Devenir aveugle puis sortir de l’ombre, le défi des fourmis légionnaires

Insecta, Hymenoptera, Formicidae, Eciton

Les recherches d’un groupe de scientifiques de l’université de Philadelphie, aux Etats-Unis, suggèrent que certaines fourmis légionnaires du genre Eciton seraient passées de la vie terrestres à la vie sous-terraine et auraient perdu leurs yeux... avant de retourner à la vie en surface tout en développant de nouveaux yeux [1].

Une colonne de fourmis légionnaires après un raid mené sur un nid de guêpes [2], on voit sur la photo que les yeux des ouvrières sont très réduits, composés d’une unique facette :

Un groupe de fourmis légionnaires de l'espèce Eciton burchellii transporte des nymphes et larves volées lors d'un raid sur un nid de guêpes, au Costa Rica.
Colonne de fourmis légionnaires Eciton burchellii au retour d’un raid
Geoff Gallice, Creative Commons Attribution 2.0 Generic.

Le passage de la vie à la surface du sol à la vie entièrement souterraine est lourd de conséquences : comme cela est visible chez les espèces vivant exclusivement dans les grottes et dans la litière, ce mode de vie est rendu possible par une économie de moyens. Dans ces milieux de vie où le noir est le plus total, la nourriture est souvent rare et il ne sert à rien de produire des pigments coûteux en énergie, ni de posséder des yeux, puisqu’il n’y a rien à voir ! Mais lorsque l’évolution fait emprunter le chemin inverse à une espèce, le passage de la vie sous terre à la vie en surface, il faut tout réinventer. La plupart des gènes liés à la production de couleur et au développement de la vision sont devenus inutilisables, du fait des nombreuses mutations qui sont conservées sur les gènes non utilisés [3]. Un des principaux sens à retrouver est la vue. Les fourmis ouvrières du genre Eciton ont donc du "réinventer" les yeux au cours de l’évolution, ce qui expliquerait d’après les scientifiques ayant mené l’étude, que ces fourmis possèdent des yeux formés d’une unique facette, contrairement aux autres fourmis. Ces facettes sont également plus larges, et le cerveau de ces fourmis légionnaires est aussi plus gros que celui des autres fourmis. Pour avoir un point de comparaison, certaines fourmis de l’espèce Gigantiops destructor possèderaient plus de 4000 facettes (ou "ommatidies") pour chaque oeil [4] !

Les yeux immenses de la fourmi Gigantiops destructor lui servent à se repérer dans la forêt [5] :

Photographie macro détaillée en gros plan d'une fourmi tropicale de l'espèce Gigantiops destructor, qui possèdent des yeux gigantesques composés de plusieurs milliers de facettes.
Gigantiops destructor, une fourmi aux yeux extrêmement développés
CC-BY-SA 3 Gary D. Alpert, Harvard University

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Notes et références

[1Bulova, S., Purce, K., Khodak, P., Sulger, E., & O’Donnell, S. (2016). Into the black and back : the ecology of brain investment in Neotropical army ants (Formicidae : Dorylinae). The Science of Nature, 103(3-4), 1-11.

[2Icône et photo de l’article Geoff Gallice, Creative Commons Attribution 2.0 Generic. Fourmis légionnaires (Formicidae : Eciton burchellii) avec les nymphes et larves volées dans un nid de guêpes. Station biologique de La Selva au Costa Rica.

[3Les chercheurs notent cependant que les mâles, qui s’envolent hors des nids pour s’accoupler avec les femelles, possèdent des yeux composés.

[4Macquart D., Latil G. & Beugnon G. 2008. Sensorimotor sequence learning in the ant Gigantiops destructor. Anim. Behav. 75 (5) : 1693–1701.

[5CC-BY-SA 3 Gary D. Alpert, Harvard University



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