L’acarien Stratiolaelaps scimitus ne permet pas le contrôle biologique du Varroa destructor

Un auxiliaire de lutte inefficace et potentiellement dangereux

De nombreux chercheurs et apiculteurs cherchent à développer des méthodes alternatives aux acaricides chimiques pour contrôler le varroa dans les ruches. Malgré les nombreux échecs lors de l’introduction d’agents de lutte biologique dans la lutte contre le Varroa destructor (champignons [1], pseudoscorpions [2], etc), des recherches se sont récemment portées sur l’introduction d’un autre acarien, Stratiolaelaps scimitus, cette fois prédateur d’acariens, dans les ruches.

Si cela vous semble être une mauvaise idée, vous avez probablement raison. L’acarien Stratiolaelaps scimitus se nourrit bien de Varroas dans les laboratoires, mais ne semble avoir aucun effet contre le varroa dans les ruches. Pire, il pourrait s’en prendre au couvain des abeilles.

Voici pourquoi cette méthode ne marche pas et présente des risques potentiellement élevés pour la santé des abeilles.

1. L’acarien prédateur des varroas tue le couvain des abeilles

L’idée derrière l’introduction de cet acarien prédateur dans les ruches était, pour certaines personnes, que ce prédateur généraliste préfèrerait s’en prendre aux varroas. Stratiolaelaps scimitus tue en effet les varroas et s’en nourrit. Cet acarien ne s’attaque pas qu’aux varroas. C’est une espèce généraliste, utilisée pour le contrôle d’autres acariens qui endommagent les plantes en serres [3], et aussi pour le contrôle des thrips (ordre des Thysanoptères) et même pour le contrôle des petits moucherons noirs du terreau [4]. On peut donc s’inquiéter de l’introduction d’une nouvelle espèce d’acarien prédateur généraliste dans une ruche pleine d’abeilles.

Malheureusement, les premières études sur le sujet se sont principalement concentrées sur le contrôle des varroas par le Stratiolaelaps scimitus en laboratoire avant de s’inquiéter de possibles conséquences sur les abeilles [5] [6] [7]. Il ne paraîtrait cependant pas invraisemblable de vouloir procéder de la manière inverse : vérifier que cet acarien ne s’attaque pas aux abeilles avant de se demander s’il tue les varroas.

Ces études rapportent généralement avoir testé l’effet de Stratiolaelaps scimitus sur des varroas seuls ou accrochés à des abeilles adultes, parfois avant de tester les effets de ces acariens prédateurs en présence d’abeilles, de couvain d’abeilles, voire même directement dans des colonies d’abeilles. En laboratoire, lorsque l’acarien Stratiolaelaps scimitus a été placé en présence de couvain d’abeilles, cet acarien attaque aussi le couvain des abeilles et en particulier les oeufs. Il préfère d’ailleurs les oeufs d’abeilles au varroa [6]. Du point de vue de la biosécurité, il est très difficile de comprendre pourquoi les personnes ayant connaissance de ces résultats ont continué leurs expérimentations avec des colonies d’abeilles fourrageant librement. Dans une étude, des ruches ont même été traitées au delà des doses recommandées par des fournisseurs de Stratiolaelaps scimitus [6]. D’après les indications disponibles, ces colonies ne semblent pas avoir été isolées en laboratoire au moment du traitement. Si un auxiliaire potentiel de lutte biologique se révélait néfaste aux abeilles, sa propagation dans d’autres ruchers pourrait créer des problèmes supplémentaires pour les apiculteurs.

Les auteurs de l’étude en question indiquent ne pas avoir détecté d’effets de Stratiolaelaps scimitus sur le couvain des ruches, mais en raison de la très faible taille de leur échantillon avec seulement trois ruches contrôles [8], il est improbable qu’un effet quelconque puisse être détecté durant leurs expériences [9].

Et au final, aucune des études réalisées jusqu’à présent n’a été capable de démontrer l’efficacité de cet acarien pour le contrôle du varroa hors des laboratoires, c’est à dire en conditions réelles dans des ruches.

2. L’acarien prédateur n’attaque pas les varroas accrochés aux abeilles

Lorsqu’il n’y a pas assez de couvain pour tous les varroas dans une colonie, ceux-ci s’attachent au corps des abeilles pour se disperser vers d’autres colonies. On appelle cela phorésie, et on dit que les acariens accrochés à des insectes pour se déplacer sont phorétiques. Des chercheurs travaillant sur les acariens prédateurs ont observé que Stratiolaelaps scimitus ne semble pas s’attaquer aux varroas lorsqu’ils sont attachés aux abeilles [6]. Cela les rend probablement inefficaces à ce stade.

3. Les traitements anti-varroas pourraient aussi tuer l’acarien prédateur de varroa

Même si cela avait fonctionné, cet acarien est probablement aussi sensible aux traitements chimiques contre le varroa. Si le Stratiolaelaps scimitus n’est pas entièrement efficace, il pourrait être nécessaire de complémenter ce traitement par un traitement anti-varroa chimique classique. Il faudrait donc probablement réintroduire l’acarien prédateur Stratiolaelaps scimitus après chaque traitement chimique complémentaire. Si cela été le cas, le coût de ce traitement pourrait être élevé.

4. Risques au long terme

L’introduction d’un auxiliaire de lutte biologique potentiel dans le traitement des varroas présente également des risques au long terme. Même si un agent de lutte est initialement inoffensif pour les abeilles, l’espèce introduite dans les ruches pourrait éventuellement devenir un parasite ou un prédateur des abeilles. Les abeilles, leur miel et leur pollen constituent dans une ruche une source d’énergie bien plus importante que leurs parasites éventuels. L’avantage évolutif pour un organisme déjà présent dans les ruche de devenir un parasite ou un prédateur des abeilles est donc très grand.

Quelles leçons faut-il tirer de cette débâcle ?

Les expérimentations en situations non confinées avec l’introduction d’agents biologiques dans des colonies d’abeilles présentent un risque élevé pour la santé des abeilles. Même en conditions confinées, ces agents pourraient se propager, comme ce fut le cas des abeilles tueuses, échappées plusieurs fois d’un laboratoire brésilien lors d’essaimages [10].

Les potentiels agents de contrôles des varroas ou du petit coléoptère de la ruche, qu’ils soient fongiques (des champignons), d’autres acariens comme Stratiolaelaps scimitus, ou des pseudoscorpions ont des propensions à devenir des menaces pour les abeilles [1] [2] [6] [11]. La plupart sont des prédateurs ou parasites généralistes, sont proches d’espèces connues comme étant une menace pour les abeilles, ou ont des comportements qui pourraient handicaper les abeilles. Les pseudoscorpions par exemple, peuvent se déplacer en se suspendant aux insectes, ce qui peut affecter leur vol [12].

Il ne s’agit peut être pas de se fermer des portes, simplement de les entrouvrir avec prudence. La lutte contre le varroa avec des organismes auxiliaires pourrait permettre une alternative utile aux acaricides. Mais pour éviter de futures mésaventures et l’introduction de nouveaux problèmes pour les abeilles, le commerce et la recherche sur les agents vivants de lutte biologique en apiculture devrait être fortement réglementés. Il est aussi important que les journaux scientifiques découragent la publications d’études scientifiques n’ayant pas correctement déterminé les risques potentiels de futurs agents de lutte biologique contre les parasites des abeilles dans des conditions de laboratoire confinées, avant de procéder à des tests sur le terrain dans des ruches fourrageant librement.


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Notes et références

[1Hamiduzzaman, M. M., Sinia, A., Guzman-Novoa, E., & Goodwin, P. H. (2012). Entomopathogenic fungi as potential biocontrol agents of the ecto-parasitic mite, Varroa destructor, and their effect on the immune response of honey bees (Apis mellifera L.). Journal of invertebrate pathology, 111(3), 237-243.

[2Thapa, R., Wongsiri, S., Lee, M. L., & Choi, Y. S. (2013). Predatory behaviour of pseudoscorpions (Ellingsenius indicus) associated with Himalayan Apis cerana. Journal of Apicultural Research, 52(5), 219-226.

[3Pochubay, E. A., & Grieshop, M. J. (2012). Intraguild predation of Neoseiulus cucumeris by Stratiolaelaps miles and Atheta coriaria in greenhouse open rearing systems. Biological Control, 63(2), 195-200.

[4Cabrera, A. R., Cloyd, R. A., & Zaborski, E. R. (2005). Development and reproduction of Stratiolaelaps scimitus (Acari : Laelapidae) with fungus gnat larvae (Diptera : Sciaridae), potworms (Oligochaeta : Enchytraeidae) or Sancassania aff. sphaerogaster (Acari : Acaridae) as the sole food source. Experimental & applied acarology, 36, 71-81.

[5Rondeau, S., Giovenazzo, P., & Fournier, V. (2019). The use of the predatory mite Stratiolaelaps scimitus (Mesostigmata : Laelapidae) to control Varroa destructor (Mesostigmata : Varroidae) in honey bee colonies in early and late fall. Journal of economic entomology, 112(2), 534-542.

[6Rondeau, S., Giovenazzo, P., & Fournier, V. (2018). Risk assessment and predation potential of Stratiolaelaps scimitus (Acari : Laelapidae) to control Varroa destructor (Acari : Varroidae) in honey bees. PloS one, 13(12), e0208812.

[7Rangel, J., & Ward, L. (2018). Evaluation of the predatory mite Stratiolaelaps scimitus for the biological control of the honey bee ectoparasitic mite Varroa destructor. Journal of Apicultural Research, 57(3), 425-432.

[8Les auteurs indiquent avoir initialement traité 5 ruches traitées avec des Stratiolaelaps scimitus et avoir utilisé 5 ruches contrôles, mais deux de celles-ci ont été retirées des analyses en raison de la survie très limitée et plutôt inquiétante des larves.

[9Woodcock, B. A., Heard, M. S., Jitlal, M. S., Rundlöf, M., Bullock, J. M., Shore, R. F., & Pywell, R. F. (2016). Replication, effect sizes and identifying the biological impacts of pesticides on bees under field conditions. Journal of Applied Ecology, 1358-1362.

[10Taylor Jr, O. R. (1977). The past and possible future spread of Africanized honeybees in the Americas. Bee World, 58(1), 19-30.

[11Chandler, D., Sunderland, K. D., Ball, B. V., & Davidson, G. (2001). Prospective biological control agents of Varroa destructor n. sp., an important pest of the European honeybee, Apis mellifera. Biocontrol Science and Technology, 11(4), 429-448.

[12Poinar Jr, G. O., Curcic, B. P., & Cokendolpher, J. C. (1998). Arthropod phoresy involving pseudoscorpions in the past and present. Acta arachnologica, 47(2), 79-96.



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