Le ténia qui rend les fourmis jaunes

Cestoda ; Cyclophyllidea ; Dilepididae ; Anomotaenia brevis & Hymenoptera ; Formicidae ; Myrmicinae ; Temnothorax nylanderi, T. affinis, T. unifasciatus, T. lichtensteini et T. rugatulus

Les humains et les cochons ne sont pas les seuls animaux qui peuvent être infectés par des ténias, sortes de vers parasites qui s’invitent dans les intestins de leurs hôtes. Les oiseaux n’y échappent pas, et les fourmis non plus. Même s’il ne s’agit pas réellement des mêmes ténias que chez les humains, mais d’une autre famille de cestodes, les Dilepididae, le mode de vie de ces vers parasites de fourmis est assez similaire.

Vue d'une fourmilière de fourmis brunes des glands Temnothorax nylanderi parasitées par des cestodes, sortes de ténias des fourmis.
Colonie de fourmis Temnothorax nylanderi infectées par un ver cestode

Le cycle de ces parasites commence lorsque les fourmis consomment les déjections d’un oiseau infecté par des cestodes. Elles ingèrent non seulement des nutriments, mais aussi les oeufs des cestodes qui sont libérés dans l’intestin de l’oiseau. Après ce repas contaminé d’oeufs de vers, les fourmis retournent au nid pour partager leur nourriture avec les autres fourmis. Une fois au nid, elles effectuent souvent de multiples trophallaxies (les fourmis partagent la nourriture en la régurgitant) avec les autres fourmis de leur colonie, et nourrissent également leurs larves en régurgitant la nourriture qu’elles ont stocké dans leur jabot social. Mais en partageant la nourriture de cette manière, elles contaminent également les autres membres de leur colonie avec les oeufs du cestode parasite.

Les oeufs des cestodes éclosent rapidement et les larves du cestode se développent dans les larves des fourmis en prélevant une partie de leurs ressources. Sur la photo ci-dessus, on peut voir à gauche quatre cestodes de l’espèce Anomotaenia brevis tels qu’ils se trouvent dans les fourmis.

Photo microscopiques en nuances de gris de larves de cestodes parasites de fourmis.
Larves de cestodes prélevées dans des fourmis
Photo Alfred Buschinger publiée sous licence Creative Commons 3.0

À ce stade de leur vie, les cestodes sont alors en dormance à l’état larvaire [1]. Un autre genre de cestodes, les Choanotaenia infecte également les fourmis des genres Temnothorax et Leptothorax. À droite, les scientifiques ont appliqué une petite pression sur un des cestodes pour faire ressortir ses organes : comme chez les ténias, on peut alors observer une couronne de crochets qui permettent au cestode de s’attacher au tube digestif de son hôte. Les ténias des humains ont d’ailleurs des crochets similaires pour s’accrocher aux intestins des humains et autres vertébrés hôtes. Ces crochets sont essentiels aux parasites qui se fixent dans le tube digestifs de leurs hôtes, car les tubes digestifs des animaux ont évolués pour pousser la nourriture vers la sortie.

Une colonie de petites fourmis brunes du genre Temnothorax avec des ouvrières jaunes et intercastes s'occupant de leurs larves. Les fourmis jaunes sont parasitées par des cestodes.
Intercastes produites sous l’influence du cestode parasite, en bas à droite

Au fur et à mesure que les larves de cestodes grandissent, elles modifient la manière dont les larves de fourmis se développent. Les larves de fourmis infectées donneront des ouvrières plus petites [2], d’aspect jaunâtre [3], et participant très peu aux tâches de la colonie. Les ouvrières infectées se contentent en effet la plupart du temps de rester à proximité du couvain, à demander de la nourriture à leurs soeurs [4] et sont moins agressives que les autres ouvrières [5]. Les larves de princesses, elles aussi, peuvent être infectées. Leur développement est également modifié par la présence du cestode, et certaines ne parviennent pas à se développer correctement en tant que princesses. On peut donc observer dans ces colonies des individus possédant une partie des caractères des princesses (présence des muscles des ailes, ou des ocelles, par exemple), mais qui ne sont pas complètement développés (par exemple, certaines ne possèdent que des moignons d’ailes ou sont de la taille des ouvrières). Ces individus sont appelés intercastes [6] car les fourmis ne se sont pas clairement développées en individu de la caste des princesses ou des ouvrières.

Au contraire, les mâles infectés sont étrangement plus gros que ceux qui ne le sont pas. Ceci pourrait être expliqué par le fait que les cestodes ne deviennent adultes et ne se reproduisent qu’une fois à qu’ils se trouvent à l’intérieur d’un oiseau [7]. Il est donc nécessaire que les fourmis infectées se fassent manger par des oiseaux pour que le cestode puisse se reproduire. Augmenter la taille des mâles pourrait donc être un moyen de les rendre plus facile à capturer par les oiseaux, ce qui pourrait ainsi augmenter les chances pour le cestode d’être transmis jusqu’à son hôte final.

Photo de fourmis du genre Temnothorax parasitées et avec des morphologies intermédiaires entre castes ou intercastes.
Fourmis infectées, jeunes fourmis, et fourmis normales

Mais ce n’est pas le seul moyen que peuvent utiliser les cestodes pour passer des fourmis aux oiseaux : les fourmis hôtes sont en effet plusieurs espèces de fourmis du genre Temnothorax [8] [9] [10]. Ces fourmis de très petite taille vivent dans la litière du sol, et les colonies entières peuvent tenir dans de petites brindilles, ou dans des glands, des noisettes et des marrons évidés. Or, les oiseaux hôtes des cestodes sont très probablement les pic épeiche et pic épeichette, qui passent la plupart de leurs journées à fouiller le sol des forêts à la recherche de glands, de noisettes, ou de larves cachées dans les brindilles... et lorsqu’ils tombent sur une colonie de fourmis, il est plus facile pour eux de capturer les fourmis infectées, qui sont jaunes et immobiles.

Les larves des cestodes se développent ensuite dans l’oiseau et se reproduisent dans son intestin : au fur et à mesure qu’il grandit, le cestode perd les derniers segments de son corps, appelés proglotis. Ces segments contiennent les oeufs des cestodes et sont riches en protéines : lorsqu’ils se retrouvent dans les déjections des oiseaux, ils sont très attractifs pour les fourmis. Celles-ci s’en nourrissent alors, et l’histoire peut recommencer.


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Notes et références

[1Les larves de cestodes sont parfois appelées cysticerques, ou cysticercoides dans le cas de cysticerques dépourvus de vésicules, mais pourvu d’un appendice portant des crochets, et qui possèdent un scolex invaginé.

[2Trabalon, M., Plateaux, L., Péru, L., Bagnères, A. G., & Hartmann, N. (2000). Modification of morphological characters and cuticular compounds in worker ants Leptothorax nylanderi induced by endoparasites Anomotaenia brevis. Journal of Insect Physiology, 46(2), 169-178.

[3Il ne faut cependant pas les confondre avec de jeunes ouvrières non infectées, plus pâles que les ouvrières normales. Les jeunes ouvrières se colorent progressivement et ne possèdent pas l’aspect doré des fourmis infectées. Les tâches sombres à l’arrière de chaque segment de l’abdomen (gastre) sont souvent déjà visibles chez les jeunes ouvrières, alors qu’ils ne sont pas présents chez la plupart des fourmis infectées. Voir les trois types de colorations des fourmis sur la macrophotographie ci-dessus.

[4Scharf, I., Modlmeier, A. P., Beros, S., & Foitzik, S. (2012). Ant societies buffer individual-level effects of parasite infections. The American Naturalist, 180(5), 671-683

[5Lerp, H., Mazur, J., Binder, H., Beros, S., Foitzik, S., & Feldmeyer, B. (2014). Parasite-induced changes in host behavior and gene expression after infection.

[6Peeters, C. P. (1991). Ergatoid queens and intercastes in ants : two distinct adult forms which look morphologically intermediate between workers and winged queens. Insectes Sociaux, 38(1), 1-15.

[7Plateaux, L., & Péru, L. (1988). Fourmis Leptothorax hôtes intermédiaires de cestodes d’oiseaux. In Union internationale pour l’étude des insectes sociaux. Section française. Colloque annuel (pp. 363-366).

[8(Temnothorax nylanderi, T. affinis, T. unifasciatus, T. lichtensteini et T. rugatulus)

[9Espadaler, X., Roig, X., & Garci­a, F. (2011). Nuevos casos de cisticercoides de tenias (Cestoda, Cyclophyllidea, Dilepididae) en hormigas (Hymenoptera, Formicidae).

[10Heinze, J., Ruppell, O., Foitzik, S., & Buschinger, A. (1998). First records of Leptothorax rugatulus (Hymenoptera : Formicidae) with cysticercoids of tapeworms (Cestoda : Dilepididae) from the southwestern United States. Florida Entomologist, 122-125.



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