Comment les drosophiles restent éveillées lorsqu’elles dorment ?
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Lorsque vous dormez, votre cerveau est au repos. Il fonctionne au ralenti, et en particulier déconnecte une grande partie de vos sensations. Impossible de dormir si vous vous réveillez au moindre changement de luminosité, au moindre bruit de mouche, ou à chaque fois que votre conjoint bouge dans le lit.
Mais il faut pourtant que le cerveau maintienne une certaine activité pour prévenir d’un danger notamment. Ainsi, le délicat chant d’une trompette, un seau d’eau froide et une lampe torche pointée directement vers vous permettent à vos amis de vous réveiller si vous êtes le dernier à vous lever et qu’ils vous attendent tous pour boire le café et manger le petit-déjeuner. De la même manière, entendre son nom est suffisant pour réveiller un humain, mais aussi un chat ou un rat [1] [2] [3]. Et si vous êtes parent vous avez peut-être remarqué qu’un bébé n’a même pas besoin d’hurler pour vous réveiller : les cerveaux humains sont faits pour se réveiller au moindre pleur d’un bébé (même s’il est possible qu’après des mois d’insomnies vous vous y soyez habitué).
Comprendre comment le cerveau parvient à déconnecter la plupart des sens tout en gardant la possibilité de réagir à ces signaux urgents est difficile. En plus, étudier cela chez des humains nécessiterait de leur couper le cerveau, ce qui pose des problèmes éthiques certains. Alors, pour déterminer comment le cerveau parvient à rester partiellement actif, une équipe de neurobiologistes dirigée par Dr. Alice French s’est intéressée au cerveau des mouches à vinaigre, la fameuse drosophile [4].
Pour réveiller ces drosophiles, les scientifiques n’ont pas utilisées de bassines d’eau mais une délicieuse odeur de vinaigre dilué, la nourriture préférée des drosophiles. Lorsque les drosophiles étaient endormies, une simple bouffée de vinaigre suffisait à les réveiller. En variant les concentrations de vinaigres et en ajoutant d’autres odeurs, la chercheuse et son équipe ont pu démontrer que les drosophiles ne réagissaient pas à tout : elles ne se réveillaient que pour les odeurs qu’elles associaient à de la bonne nourriture. Cela signifie que le cerveau des drosophiles est suffisamment actif, même lorsqu’elles sont endormies, pour pouvoir différencier des odeurs de bonne ou de mauvaise nourriture.
Malgré les différences évidentes entre le cerveau des mouches et celui des humains, il est facile de voir la similarité avec notre sommeil. Vous ne vous êtes probablement jamais laissé réveillé par l’odeur de brocolis bouillis, alors que celle du café chaud vous tire probablement plus rapidement du lit. Les similarités entre humains et mouches ne s’arrêtent pas là. Lorsque les scientifiques ont donné de l’alcool à leurs mouches, celles-ci ont eu un sommeil plus profond et sont devenues moins réactives aux délicieuses odeurs de vinaigre dilué.
Malgré ces résultats amusants et intéressants, le rôle premier de leurs expériences était de déterminer comment le cerveau peut se réveiller si rapidement. Pour répondre à cela, les chercheurs ont utilisé des techniques permettant d’isoler le rôle de certains neurones (en les activant et désactivant). En désactivant des groupes de neurones un par un, l’équipe de scientifiques a été capable de démontrer que même lorsque le cerveau est endormi, certains neurones très spécifiques restent actifs et permettent au cerveau de rapidement se remettre en marche lorsqu’il y a un danger... ou de la nourriture à proximité. Ces neurones sont donc des sortes de neurones "sentinelles" chargé de rester éveillé pendant le sommeil pour réveiller le reste du cerveau, si sortir du lit en vaut la peine.
Cet article est agrégé au café des sciences, qui regroupe des articles de vulgarisation scientifique. Allez donc y jeter un coup d’oeil ;-)
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Notes et références
[1] Oswald, I., Taylor, A. M. & Treisman, M. Discriminative responses to stimulation during human sleep. Brain 83, 440–453 (1960).
[2] Twyver, H. V. & Garrett, W. Arousal threshold in the rat determined by “meaningful” stimuli. Behav. Biol. 7, 205–215 (1972).
[3] Siegel, J. & Langley, T. D. Arousal threshold in the cat as a function of sleep phase and stimulus significance. Experientia 21, 740–741 (1965).
[4] French, A. S., Geissmann, Q., Beckwith, E. J., & Gilestro, G. F. (2021). Sensory processing during sleep in Drosophila melanogaster. Nature, 1-4.