La gestion de la résistance du Varroa destructor aux acaricides

Comment éviter les pertes d’efficacité des traitements anti-varroas.

Le Varroa destructor, parasite de l’abeille domestique qui transmet de nombreux virus, devient rapidement résistant à de nombreux traitements acaricides [1]. Le premier cas de résistance au tau-fluvalinate (Apistan) a été observé en 1991 [2] ; la résistance à l’amitraz (Apivar) est aussi apparue en 1991 ; la résistance à la fluméthrine (Bayvarol) en 1995 [3] et la résistance au coumaphos en 2001 [4] (mais peu importe : celui-ci est désormais interdit en France [5] en raison de sa toxicité et de ses effets très néfastes sur les colonies d’abeilles [6]).

La résistance à ces traitements apparaît en partie en raison du manque de diversité dans la manière dont les traitements sont effectués, et de l’accumulation de ces pesticides dans la ruche [7]. Les pratiques qui ne diversifient pas assez les traitements et n’évitent pas l’accumulation de traitements dans les produits de la ruche sélectionnent rapidement des populations de varroas avec des gènes de résistance. Pour les varroas, développer une résistance à un produit est coûteux car leurs organismes doivent produire des molécules complexes pour neutraliser les traitements auxquels ils sont exposés. Mais ce coût en vaut la peine s’ils sont constamment ou régulièrement exposés aux mêmes traitements.

Il existe cependant différentes manières de limiter l’apparition de gènes de résistance et d’éliminer ceux qui sont déjà apparus [8]. Il faut en premier utiliser des méthodes de contrôle physique pour diminuer au maximum le nombre de varroas et la nécessité de traiter, puis effectuer les traitements en rotation. Voici les bonnes pratiques pour éliminer ou éviter l’apparition de la résistance aux acaricides chez les varroas.

1) Les traitements physiques, la modération et les mesures de prévention

Utiliser des alternatives aux traitements acaricides chimiques, ne traiter que lorsque nécessaire, et éviter de laisser de nouveaux varroas rentrer dans les ruches permet de réduire les risques de résistance chez les varroas.

« Mieux vaut prévenir que guérir », vous avez déjà entendu ça ? C’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de varroas. Éviter de laisser vos colonies se faire réinfester après un traitement est essentiel pour leur santé au long terme. Les varroas qui ont survécu à des traitements sont forcément plus susceptibles de porter des gènes de résistance. Les colonies sont réinfestées par les varroas qui ont survécu au traitement, mais aussi par les ruches avoisinantes. Les réinfestations par colonies voisines survient soit lors de la dérive des ouvrières soit lors du pillage des ruches. Les deux peuvent facilement être évités, en donnant des repères aux abeilles et en utilisant des réducteurs d’entrées de ruches. Donner des repères aux abeilles améliore d’ailleurs grandement la survie des colonie en hiver, en partie parce que cela limite la réinfestation des colonies par les varroas des colonies avoisinantes [9].

En plus de ces techniques préventives, de nombreuses techniques apicoles existent pour limiter la croissance des populations de varroas. L’essaimage artificiel et l’interruption du couvain pour couper le cycle de vie du varroa doivent faire partie de la gestion moderne des colonies d’abeilles. Il est aussi possible de piéger des varroas sur les cadres de couvain de faux-bourdons. Le couvain des faux bourdons attire plus de varroas que celui des ouvrières. Et les mâles n’étant pas essentiels à la survie des colonies, ils peuvent être éliminés à l’état de pupe, lorsque les varroas y sont encore attachés. Des cadres spéciaux en plastique avec des cellules larges qui encouragent la reine à pondre des faux-bourdons peuvent être placés dans la ruche puis retirés juste après l’operculation des cellules. Ils sont alors congelés puis nettoyés pour tuer les varroas, puis replacés dans les mêmes ruches. Ces méthodes physiques permettent de retirer encore plus de varroas des ruches, limitant le nombre de varroas résistants restant dans les ruches après un traitement, et lorsqu’elles sont efficaces, elles limitent aussi la fréquence des traitements chimiques. Avec des traitements chimiques moins fréquents, développer ou maintenir des gènes de résistance devient moins avantageux pour les varroas [8].

Pour limiter la durée d’exposition des varroas aux traitements, le remplacement des cires à hauteur de 20% des cadres chaque année (tous les cinq ans) avec des cires neuves est conseille. Cela permet d’éviter l’accumulation de pesticides, dont les acaricides, dans la cire. Les traitements acaricides doivent aussi être retirés après la période indiquée sur l’emballage du produit. Limiter la durée pendant laquelle les varroas sont exposés à un traitement réduit aussi l’avantage que ceux-ci ont à être résistants.

Enfin, traiter avec modération, c’est à dire ne pas surdoser les traitements, pourrait permettre de réduire la rapidité avec laquelle les varroas deviennent résistants. Malheureusement peu de recherches ont été effectuées sur le sujet. Les traitements utilisés à ce jour se sont focalisés sur la mortalité des varroas. Mais il n’est peut-être pas forcément nécessaire de tuer les varroas, car des doses d’acaricides bien plus faibles pourraient être suffisantes pour les empêcher de se reproduire, de se nourrir ou de bouger [10]. Si ces doses plus faibles sont efficaces, la résistance des varroas et les effets collatéraux sur les colonies d’abeilles pourraient être réduits. Cependant peu de tests ont été effectués à ce jour pour des doses inférieures aux doses mortelles pour les varroas et il faudra attendre plus de recherches avant de traiter à des doses plus faibles.

2) La rotation des traitements

La rotation des traitements consiste à utiliser des traitements avec des modes d’action différents successivement. Idéalement, un traitement de printemps (pré-miellée) ou d’été (post-miellée) sera effectué avec un produit au mode d’action différent du traitement d’automne, et même les traitements des années suivantes devraient être différents. En pratique cependant, cette rotation des traitements est limitée par des raisons pratiques.

La première est le manque de connaissances concernant les modes d’action des acaricides utilisés en apiculture. Des modes d’action probables sont connus, mais certains acaricides comme les acides organiques ou les huiles essentielles semblent avoir des modes d’action multiples et la contribution de ces différents modes d’action dans la mortalité des varroas n’est pas connue.

La plupart des acaricides utilisés en apiculture agissent en bloquant ou en suractivant les neurones dans le cerveau. Mais ils n’agissent pas tous de la même manière. Le thymol par exemple, agit en modifiant le fonctionnement de l’octopamine, de la tyramine, and des récepteurs GABA dans le cerveau des varroas [11], la fluméthrine et le fluvalinate empêchent les neurones de se réactiver après qu’ils aient envoyé un signal en se liant au canaux sodium [12], l’amitraz semble agir sur les recepteurs de l’octopamine [13]. L’acide formique affecte peut-être la respiration [14] et les mitochondries des varroas [15], et l’on ne sait pas exactement comment l’acide oxalique tue les varroas [16]. Avec cette liste déjà, on voit que la fluméthrine et le fluvalinate agissent différemment du thymol et de l’amitraz et de l’acide oxalique et de l’acide formique. Effectuer une rotation entre ces différents groupes est donc le meilleur moyen de supprimer les gènes de resistance chez les acariens.

Par exemple, la première année, un apiculteur peut traiter une ruche avec du fluvalinate en traitement estival hors période de production de miel (jamais en présence de hausses [17]), piéger le varroa sur les cadres de faux-bourdons au printemps et en été, puis traiter à l’acide oxalique, si nécessaire, en hiver. L’année suivante, un traitement à l’amitraz peut être effectué en été (de nouveau, hors période de production de miel et sans hausses), combiné à un piégeage de faux-bourdons ou une interruption de la ponte et un traitement à l’acide formique en automne ou oxalique en hiver si nécessaire. Après cela, le cycle de traitement peut redémarrer.

Ceci n’est qu’un example qui doit être adapté en fonction des régions et des conditions, toujours en suivant les recommendations inscrites au dos des produits. Si des traitements printanniers ou inhabituels sont nécessaires, en raison de quantités élevées de varroas [18], l’essentiel est juste de suivre l’alternance en utilisant des acaricides avec des modes d’action différents du dernier traitement d’automne ou d’hiver et du futur traitement estival d’après récolte.

Suivre ces pratiques augmentera l’efficacité de ces traitements dans vos ruches et donc vos rendements en terme d’abeilles et de miel.

3) La gestion par traitements multiples

La gestion de la résistance par traitements multiples consiste à traiter de manière simultanée les varroas avec plusieurs produits qui ont des modes d’action différents. La gestion par traitements multiples est très peu développée en apiculture et peu de recherches ont été conduites sur le sujet [19]. Malheureusement, on sait que la plupart des acaricides ont des effets négatifs importants sur les abeilles elles-mêmes [20], et combiner plusieurs traitements pourrait causer des pertes d’abeilles [21], de couvain ou des mortalités de reines très fréquents par exemple.

Le seul traitement multiple utilisé à ce jour semble être la mixture de thymol, eucalyptol, methol et camphre d’Apilife VAR, mais ce traitement est peu utilisé en raison d’une efficacité plus faible qu’avec du thymol seul [22] et d’une mortalité ou diminution du couvain [23]. De plus les raisons de ce mélange et les différents modes d’action de ces substances semblent peu clairs.

Il faudra donc attendre que plus de recherches soient effectuées avant de décider si cette méthode de gestion peut être ajoutée à l’arsenal des apiculteurs.


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Notes et références

[1Mitton, G. A., Meroi Arcerito, F., Cooley, H., Fernández de Landa, G., Eguaras, M. J., Ruffinengo, S. R., & Maggi, M. D. (2022). More than sixty years living with Varroa destructor : a review of acaricide resistance. International Journal of Pest Management, 1-18.

[2Lodesani, M., Colombo, M., & Spreafico, M. (1995). Ineffectiveness of Apistan® treatment against the mite Varroa jacobsoni Oud in several districts of Lombardy (Italy). Apidologie, 26(1), 67-72.

[3Milani, N. (1995). The resistance of Varroa jacobsoni Oud to pyrethroids : a laboratory assay. Apidologie, 26(5), 415-429.

[4Elzen, P. J., & Westervelt, D. (2002). Detection of coumaphos resistance in Varroa destructor in Florida. American Bee Journal, 142(4), 291-292.

[5Ministère de l’agriculture, consulté le 01/02/2024, pas d’usage autorisé.

[6Johnson, R. M., Ellis, M. D., Mullin, C. A., & Frazier, M. (2010). Pesticides and honey bee toxicity–USA. Apidologie, 41(3), 312-331.

[7Mullin, C. A., Frazier, M., Frazier, J. L., Ashcraft, S., Simonds, R., VanEngelsdorp, D., & Pettis, J. S. (2010). High levels of miticides and agrochemicals in North American apiaries : implications for honey bee health. PloS one, 5(3), e9754.

[8Georghiou, G. P. (1994). Principles of insecticide resistance management. In Phytoprotection (Vol. 75, No. 4, pp. 51-59). Érudit.

[9Dynes, T. L., Berry, J. A., Delaplane, K. S., Brosi, B. J., & de Roode, J. C. (2019). Reduced density and visually complex apiaries reduce parasite load and promote honey production and overwintering survival in honey bees. PLoS One, 14(5), e0216286.

[10Colin, T., Monchanin, C., Lihoreau, M., & Barron, A. B. (2020). Pesticide dosing must be guided by ecological principles. Nature Ecology & Evolution, 4(12), 1575-1577.

[11Blenau, W., Rademacher, E., & Baumann, A. (2012). Plant essential oils and formamidines as insecticides/acaricides : what are the molecular targets ?. Apidologie, 43, 334-347.

[12González-Cabrera, J., Rodríguez-Vargas, S., Davies, T. E., Field, L. M., Schmehl, D., Ellis, J. D., ... & Williamson, M. S. (2016). Novel mutations in the voltage-gated sodium channel of pyrethroid-resistant Varroa destructor populations from the Southeastern USA. PloS one, 11(5), e0155332.

[13Guo, L., Fan, X. Y., Qiao, X., Montell, C., & Huang, J. (2021). An octopamine receptor confers selective toxicity of amitraz on honeybees and Varroa mites. Elife, 10, e68268.

[14Bolli, H. K., Bogdanov, S., Imdorf, A., & Fluri, P. (1993). Action of formic acid on Varroa jacobsoni Oud. and the honey bee (Apis mellifera L.). Apidologie, 24(1), 51–57.

[15Song, C., & Scharf, M. E. (2009). Mitochondrial impacts of insecticidal formate esters in insecticide‐resistant and insecticide‐susceptible Drosophila melanogaster. Pest Management Science : formerly Pesticide Science, 65(6), 697-703.

[16German, P. Varroa Treatments : Mode of action and resistance. Pheromite, consulté le 6 Février 2024. Site de Pheromite (anglais).

[17Suivre les recommendations de l’ANSES.

[18ITSAP. 2019. Lutte contre Varroa : détecter au plus tôt pour intervenir efficacement. Version en ligne consultée en Février 2024. URL : https://itsap.asso.fr/articles/lutte-contre-varroa-detecter-au-plus-tot-pour-intervenir-efficacemen.

[19Lester, P. Integrated resistance management (IRM) for acaricide use on Varroa destructor. Frontiers in Bee Science, 1, 1297326.

[20Tihelka, E. (2018). Effects of synthetic and organic acaricides on honey bee health : a review. Slovenian Veterinary Research, 55(3), 119-140

[21Pietropaoli, M., & Formato, G. (2022). Formic acid combined with oxalic acid to boost the acaricide efficacy against Varroa destructor in Apis mellifera. Journal of Apicultural Research, 61(3), 320-328.

[22Coffey, M. F., & Breen, J. (2013). Efficacy of Apilife Var® and Thymovar® against Varroa destructor as an autumn treatment in a cool climate. Journal of Apicultural Research, 52(5), 210-218.

[23Ellis, J. J., Delaplane, K. S., & Hood, W. M. (2002). Efficacy of a bottom screen device, ApistanTM, and Apilife VARTM, in controlling Varroa destructor.



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