Les pseudoscorpions permettent-ils le contrôle du varroa ? Probablement pas.
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Le Varroa destructor est un petit acarien parasite des abeilles qui transmet des virus à ces dernières. Il représente un problème majeur pour les apiculteurs. La plupart des traitements utilisés contre cet acarien sont chimiques et affectent aussi la santé des abeilles. Pour cette raison, apiculteurs et scientifiques essaient de trouver des méthodes non chimiques pour contrôler le varroa.
Une des solutions potentielles qui a retenu l’attention des apiculteurs et chercheurs est la lutte biologique à l’aide de petits arachnides appelés pseudoscorpions. Ces animaux forment un ordre proche des scorpions mais dépourvus d’aiguillons. Ils sont aussi de taille minuscule.
Les pseudoscorpions sont généralement des prédateurs d’animaux vivant sous l’écorce des arbres ou dans la litière des forêts, comme les collemboles et les acariens. Plusieurs espèces ont aussi été trouvées dans ou à proximité de ruches [1]. Les pseudoscorpions auraient même été fréquents dans les colonies d’abeilles avant l’apparition des ruches de type Dadant ou Langstroth. Ces ruches sont usinées si précisément qu’elles offriraient moins de cachettes aux pseudoscorpions que des modèles de ruches historiques dans des troncs évidés ou en osier [2]. Quelques observations de pseudoscorpions semblant se nourrir de varroas ont encouragé des recherches à leur sujet : les pseudoscorpions pourraient-ils débarrasser les ruches des varroas ?
Probablement pas. Il y a plusieurs problèmes concernant la biologie et l’élevage des pseudoscorpions qui rendent difficile leur utilisation. Voici pourquoi :
Les pseudoscorpions sont-ils vraiment dans les ruches pour se nourrir de varroas ?
Tout d’abord, les pseudoscorpions sont des prédateurs généralistes. On les trouve naturellement sous l’écorce des arbres vivants ou morts où ils chassent divers insectes et arachnides tels des pucerons, des collemboles et des acariens. Il n’est donc pas surprenant de les rencontrer de temps en temps entre le corps et le toit d’une ruche, surtout si le bois est un peu décomposé et attire des collemboles et acariens. Il semble que certains pseudoscorpions soient peut-être associés à des abeilles sociales en Asie [2]. Mais il est probable que de nombreuses espèces apprécient simplement les crevasses des ruches en bois. Oui, on sait que certains se nourrissent de varroas car on a retrouvé des traces de l’ADN de varroa sur eux. En laboratoire, on sait que certaines espèces se nourrissent de varroas lorsqu’il s’agit de la seule source de nourriture à laquelle ils ont accès [3], mais dans les ruches, ils pourraient très bien manger seulement les varroas déjà tombés ou morts sur le fond de la ruche [4].
Les pseudoscorpions sont des prédateurs généralistes qui pourraient s’en prendre aux abeilles
Un des problèmes les plus important, c’est que les pseudoscorpions sont des prédateurs généralistes, et certaines espèces ont été observées attaquant des abeilles à différents stades de leur vie [2]. Il y a donc un risque, si les pseudoscorpions survivaient dans les ruches, qu’ils finissent par s’attaquer aux oeufs, aux larves d’abeilles ou voire même aux ouvrières. Cela a notamment été le cas de petits acariens prédateurs de varroas, qui une fois dans les ruches semblent préférer se nourrir des oeufs des abeilles que des varroas [5].
Certains pseudoscorpions ont même été observés se nourrissant de larves d’abeilles asiatiques Apis cerana mais ignorant les varroas placés devant eux [6]. Il semblerait que cette espèce, parfois présente en grand nombre dans les ruches, se nourrissent principalement des abeilles, en particulier des abeilles mortes et coincées entre les couvre-cadres et les toits des ruches.
Les pseudoscorpions se déplacent à dos d’insectes
Les pseudoscorpions sont phorétiques, cela signifie qu’ils se déplacent en s’accrochant à des insectes plus gros qu’eux et se laissent tomber une fois qu’ils ont trouvé un habitat qui leur plait. Remplir une ruche de petits arachnides faisant de l’autostop à dos d’abeilles n’est probablement pas une bonne idée. Si les pseudoscorpions s’attachent aux ailes ou au corps des abeilles, ils pourraient coûter beaucoup d’énergie aux abeilles lorsqu’elles volent.
Les pseudoscorpions ne semblent pas bien vivre au sein des ruches
Le troisième problème, et pas des moindre, est que les pseudoscorpions ont du mal à survivre dans les ruches. Ils ont besoin de petits anfractuosité où vivre, mais les abeilles bloquent généralement les crevasses des ruches avec de la propolis. Cela permet aux abeilles d’empêcher le petit coléoptère de la ruche ou la fausse teigne de la ruche de s’y cacher. Les abeilles chassent aussi les intrus présents dans leurs ruches, et il n’est pas dit qu’elles apprécient la présence de pseudoscorpions dans leurs alvéoles de cire. Les pseudoscorpions sont d’ailleurs généralement observés entre le corps et le toit des ruches, ou sur la planche de vol, mais pas sur les cadres.
Et puis, les pseudoscorpions sont probablement sensibles aux traitements chimiques contre le varroa [2]. Ils ne pourraient probablement pas être utilisés en même temps que ces traitements qui les tueraient. Il faudrait donc qu’ils soient très efficaces, au point qu’un apiculteur ou une apicultrice n’ait pas besoin d’appliquer un autre traitement contre le varroa.
Les pseudoscorpions sont difficiles à élever en grand nombre
Un quatrième problème est que les pseudoscorpions sont très difficiles à élever, en partie parce que les adultes sont cannibales et doivent être séparés [7]. Bien que possible [7], leur élevage en masse est donc compliqué.
En résumé, cela fait environ trente ans que l’idée que les pseudoscorpions puisse contrôler les varroas est apparue, et il n’y a toujours aucune preuve qu’ils puissent réduire le nombre de varroas présents dans les ruches [8] [9]. Ils semblent ne pas être capables de s’attaquer aux varroas lorsque ceux-ci sont sur les abeilles [5]. S’ils s’avéraient être problématiques pour les abeilles car ils se nourrissent de leurs oeufs, ils pourraient même s’ajouter à la longue liste des prédateurs et parasites d’abeilles.
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Notes et références
[1] Gonzalez, V. H., Mantilla, B., & Mahnert, V. (2007). A new host record for Dasychernes inquilinus (Arachnida, Pseudoscorpiones, Chernetidae), with an overview of pseudoscorpion-bee relationships. The Journal of Arachnology, 35(3), 470-474.
[2] Donovan, B. J., & Paul, F. (2005). Pseudoscorpions : the forgotten beneficials inside beehives and their potential for management for control of varroa and other arthropod pests. Bee World, 86(4), 83-87.
[3] Fagan, L. L., Nelson, W. R., Meenken, E. D., Howlett, B. G., Walker, M. K., & Donovan, B. J. (2012). Varroa management in small bites. Journal of Applied Entomology, 136(6), 473-475.
[4] van Toor, R. F., Thompson, S. E., Gibson, D. M., & Smith, G. R. (2015). Ingestion of Varroa destructor by pseudoscorpions in honey bee hives confirmed by PCR analysis. Journal of Apicultural Research, 54(5), 555-562.
[5] Rondeau, S. (2018). Lutte biologique contre le parasite apicole Varroa destructor à l’aide de l’acarien prédateur Stratiolaelaps scimitus.
[6] Thapa, R., Wongsiri, S., Lee, M. L., & Choi, Y. S. (2013). Predatory behaviour of pseudoscorpions (Ellingsenius indicus) associated with Himalayan Apis cerana. Journal of Apicultural Research, 52(5), 219-226.
[7] Read, S., Howlett, B. G., Donovan, B. J., Nelson, W. R., & Van Toor, R. F. (2014). Culturing chelifers (Pseudoscorpions) that consume Varroa mites. Journal of applied entomology, 138(4), 260-266.
[8] Rondeau, Sabrina. "Varroa destructor Anderson & Trueman, Varroa Mite (Mesostigmata : Varroidae)." Biological Control Programmes in Canada, 2013-2023. GB : CABI, 2024. 411-418.
[9] Jack, C. J., & Ellis, J. D. (2021). Integrated pest management control of Varroa destructor (Acari : Varroidae), the most damaging pest of (Apis mellifera L.(Hymenoptera : Apidae)) colonies. Journal of Insect Science, 21(5), 6.