Comment les papillons sont plus noirs que le pigment le plus noir

Les animaux les plus sombres sont ceux qui vivent au fond des abysses, là où les poissons-lanternes rodent. Les poissons-lanternes et leurs proies doivent être presque absolument noires pour éviter de se faire repérer. Ces poissons absorbent jusqu’à 99,95% de la lumière émise [1] !

Sur la terre ferme, les animaux les plus sombres sont des papillons tropicaux aux ailes partiellement noires. Ils reflètent tellement peu de lumière que les plis et structures de leurs ailes ne sont pas visibles pour les humains. Chez les papillons, être sombre ne serait pourtant pas pour se faire passer inaperçu. Il s’agirait en fait pour les papillons mâles d’augmenter le contraste avec les autres couleurs de leurs ailes, afin de se faire remarquer par les femelles.

Le papillon tropical Trogonoptera brookiana est capable de produire un des noirs les plus sombres du monde vivant. Photo macro de 3/4 du domaine public obtenue de wikipédia.
Un papillon au noir très sombre, Trogonoptera brookiana

Une équipe de chercheurs américains s’est intéressé de près à ces papillons pour essayer de comprendre comment ils atteignaient des couleurs si sombres [2]. En effet, il n’y a pas de pigment aussi noir connu à ce jour. Pour ce faire, ils ont voulu observer la structure des ailes en utilisant un microscope à balayage électronique, qui utilise des électron pour produire des images à très, très forts grossissements. Grâce à cette technique, ils ont pu observer les minuscules structures de la surface des ailes de différentes espèces de papillons très sombres. Ils ont découvert que les papillons, en plus de leurs pigments noirs, avaient des structures en forme de petits tubes, rappelant parfois la forme des rayons de miels dans les ruches. Ce sont ces tubes noirs qui permettent d’assombrir encore plus la lumière. En effet, les pigments noirs absorbent une grande partie de la lumière, et le peu qu’il reflète est probablement dirigé vers la paroi du tube, qui absorbe à nouveau une grande partie de la lumière, et ainsi de suite…

Voici des photos prises au microscope à balayage électronique des nanostructures des ailes de ces papillons. Ces structures augmentent l’absorption de la lumière (adaptées de Davis et al 2020, voir légendes) :

Photo au microscope à balayage électronique de la microstructure des ailes du papillons Trogonoptera brookiana (male) qui absorbe la lumière à l'aide de sa structure en cellules d'abeilles. Davis et al 2020 doi.org/10.1038/s41467-020-15033-1 (CC BY 4.0) photo découpée de la figure 2 et agrandie.
Nanostructure des ailes du papillon noir Trogonoptera brookiana
Photo de la nanostructure des ailes d'un papillon noir (Euploea klugi) prise au microscope à balayage électronique. Obtenue de Davis et al 2020 doi.org/10.1038/s41467-020-15033-1 (CC BY 4.0) photo découpée de la figure 2 et agrandie.
Nanostructure des ailes du papillon noir Euploea klugi

Pour des raisons artistiques ou de camouflage, les humains ont un grand intérêt à pouvoir produire des surfaces extrêmement sombres. Ce qui est intéressant, c’est que les peintures les plus sombres créées par les humains sont basées sur le même système : des pigments noirs sont associés à des structures en tubes qui absorbent mieux la lumière que le pigment seul. La peinture la plus sombre à ce jour est appelée Vantablack, elle absorbe 99.965% de la lumière. Un autre matériau récemment découvert par le MIT absorbe même 99.995% de la lumière, mais ce n’est pas seulement grâce à des pigments non plus. En fait, presque toute la lumière est aussi absorbée parce que ces matériaux sont faits de minuscules tubes dont les parois absorbent la lumière au fur et à mesure qu’elle se reflète sur les parois, comme chez les papillons.

Ces matériaux ne sont malheureusement pas disponibles dans le commerce à ce jour. Il faut dire que les armées du monde ont un fort intérêt pour ces matériaux, qui peuvent servir, comme pour le poisson lanterne, à se camoufler. Quelques artistes y ont bien accès et s’en servent plutôt comme le font les papillons pour attirer l’attention.

Cet article est agrégé au café des sciences.


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Notes et références

[1Davis, A. L., Thomas, K. N., Goetz, F. E., Robison, B. H., Johnsen, S., & Osborn, K. J. (2020). Ultra-black camouflage in deep-sea fishes. Current Biology, 30(17), 3470-3476.

[2Davis, A. L., Nijhout, H. F., & Johnsen, S. (2020). Diverse nanostructures underlie thin ultra-black scales in butterflies. Nature communications, 11(1), 1-7.



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