Mesurer l’impact de la recherche sur l’environnement : c’est pas facile
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Les scientifiques ont-ils une influence sur la société ? C’est une question essentielle pour beaucoup de chercheurs, surtout pour ceux qui essaient de protéger l’environnement. Ils sont souvent motivés par l’idée de pouvoir directement aider une espèce ou un habitat en danger à survivre. Leur vocation est donc souvent au final d’aider les gouvernements ou le grand public à prendre les bonnes décisions.
Mais mesurer l’impact de la recherche est difficile. Les scientifiques utilisent parfois le nombre de fois que leur travail est cité par d’autres chercheurs (dans un certain laps de temps, ceci est appelé le facteur d’impact), pour mesurer leur influence juste au sein de la communauté scientifique. Cette mesure très simple est aussi très critiquée et fait l’objet d’intenses débats : le nombre de citations ne reflète pas forcément la qualité du travail cité et peut être influencé par de nombreux facteurs. Par exemple, les articles scientifiques plus courts sont souvent plus cités car ils paraissent plus faciles à lire, mais ils ne fournissent souvent pas assez de détails pour que les autres scientifiques puissent juger de leur qualité.
Imaginez maintenant, s’il est déjà difficile pour les scientifiques de mesurer leur impact sur les autres scientifiques, à quel point il peut être compliqué de mesurer leur impact sur la société.
Pour la recherche sur la conservation de la biodiversité ou la protection de l’environnement, les impacts sur la société sont très variés. Ils peuvent être économiques (pollinisation, filtration de l’eau,...), culturels (festivals, récolte de champignons en famille, conservation d’un animal emblématique,...), de santé (bien-être dans les ville, capture de la pollution,...) et bien sûr environnementaux (protection des espèces et habitats). Différents changements peuvent être considérés comme des objectifs atteints par la recherche sur la protection de l’environnement. Les principaux objectifs sont d’aider à réduire les déchets, les émissions de gaz à effets de serre, l’exploitation des paysages, l’utilisation des pesticides ou d’améliorer le bien-être dans les villes. Ces changements sont souvent liés entre eux, ce qui peut rendre l’impact global de la recherche difficile à mesurer. Par exemple, réduire les déchets émis peut aider à réduire les émissions de gaz à effets de serre [1]. À l’inverse, réduire la surface des villes pour éviter qu’elles piétinent les zones naturelles environnantes peut les rendre moins agréables à vivre [2] et laisser moins de place pour les parcs naturels et espaces de promenades au sein des villes.
Même lorsque les objectifs sont plus précis, comme la conservation d’une espèce en particulier, il peut être difficile de mesurer l’impact de la recherche. Souvent, les scientifiques peuvent alarmer les gouvernements sur les risques d’extinction d’une espèce, mais ne peuvent pas facilement tester directement les moyens de la conserver. Un exemple classique est celui de la conservation des azurés, des petits papillons bleus qui parasitent les fourmis : après des recherches montrant le déclin de l’azuré du serpolet (Maculinea arion ou Phengaris arion) en Angleterre, le gouvernement a rapidement classé de nombreuses prairies en espaces protégés et placé des barrières pour empêcher les collectionneurs de papillons d’y rentrer. Malheureusement, ce qui n’avait pas été prévu est que suite à l’installation de ces barrières, les animaux herbivores (mangeurs d’herbe, comme les biches ou les moutons) ne pouvaient plus non plus rentrer dans les prairies protégées. L’herbe a rapidement poussé trop haut pour que les fourmis hôtes du papillon puissent y vivre. Il est donc devenu impossible pour les larves du papillon de grandir (elles se développent exclusivement dans les fourmilières !) ce qui a accéléré le déclin du papillon pendant quelques temps avant que l’erreur ne soit rectifiée [3].
L’autre grande difficulté pour mesurer l’impact de la recherche est le décalage de temps entre le moment où la recherche est rendue publique, et le moment où les changements sont adoptés. Pour la recherche médicale, il a par exemple été montré qu’il faut environ 17 ans pour que les recherches soient mises en pratique [4], et 20 ans en recherche agricole[Alston, J. M., Andersen, M. A., James, J. S., & Pardey, P. G. (2009). Persistence pays : US agricultural productivity growth and the benefits from public R&D spending (Vol. 34). Springer Science & Business Media.]. Lorsqu’il s’agit de conserver des espèces animales, à ce délai peut s’ajouter le temps nécessaire à la restauration de certains habitats, ce qui peut être très, très long. Par exemple, le scarabée pique-prune (Osmoderma eremita), une espèce menacée, vit dans le bois mort des vieux arbres et de préférence ceux de plus de 150 ans [5] [6]. Avec des espèces comme celles-ci, les chercheurs ont le temps de prendre leurs retraites avant de voir une amélioration quelconque.
D’après une équipe de scientifiques internationaux qui s’est récemment penché sur la question [7], il existe cependant des indicateurs clairs qui peuvent suggérer que des recherches vont avoir un impact sur la société à beaucoup plus court terme. Pour eux, l’impact de la recherche en conservation de l’environnement sur la société peut être indiqués par les traits suivants :
– La recherche est reprise par le grand public dans des articles de vulgarisation, des newsletters, et des rapports
– Il y a une nouvelle prise de conscience d’un problème, qui conduit à l’adoption de meilleures pratiques de conservation
– Il y a un changement clair de politique publique, de stratégie où dans les programmes de protection de l’environnement
– Les différents acteurs, qu’ils soient chercheurs, groupes locaux, conservateurs et gestionnaires ont participé à définir les buts et les idées de recherche ensemble
– Il y a une réduction visible des processus qui menacent l’environnement
– Il y a une amélioration de la qualité d’un milieu particulier
Ces mesures ne sont pas parfaites, concluent les chercheurs, mais ils espèrent qu’elles pourront encourager les autres scientifiques à mieux déterminer leurs objectifs aux débuts de leurs recherches. Cela pourrait améliorer l’adoption de leurs recommandations par les gouvernements et gestionnaires. En d’autres mots, la recherche sur l’environnement doit prendre en compte son vrai but : créer des changements positifs au sein de la société. Sinon, à quoi bon ?
Cet article est agrégé au site du Café des Sciences.
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Notes et références
[1] Magazzino, C., Mele, M., & Schneider, N. (2020). The relationship between municipal solid waste and greenhouse gas emissions : Evidence from Switzerland. Waste Management, 113, 508-520.
[2] Okulicz-Kozaryn, A., & Mazelis, J. M. (2018). Urbanism and happiness : A test of Wirth’s theory of urban life. Urban Studies, 55(2), 349-364.
[3] Thomas, J. A., Simcox, D. J., & Clarke, R. T. (2009). Successful conservation of a threatened Maculinea butterfly. Science, 325(5936), 80-83.
[4] Morris, Z. S., Wooding, S., & Grant, J. (2011). The answer is 17 years, what is the question : understanding time lags in translational research. Journal of the Royal Society of Medicine, 104(12), 510-520.
[5] Oleksa, A., Ulrich, W., & Gawronski, R. (2007). Host tree preferences of hermit beetles (Osmoderma eremita Scop., Coleoptera : Scarabaeidae) in a network of rural avenues in Poland. Polish Journal of Ecology, 55(2), 315-323.
[6] Ranius, T., Svensson, G. P., Berg, N., Niklasson, M., & Larsson, M. C. (2009, June). The successional change of hollow oaks affects their suitability for an inhabiting beetle, Osmoderma eremita. In Annales Zoologici Fennici (Vol. 46, No. 3, pp. 205-216). Finnish Zoological and Botanical Publishing Board.
[7] Lavery, T. H., Morgain, R., Fitzsimons, J. A., Fluin, J., Macgregor, N. A., Robinson, N. M., ... & Lindenmayer, D. B. (2021). Impact Indicators for Biodiversity Conservation Research : Measuring Influence within and beyond Academia. BioScience, 71(4), 383-395.