Pourquoi ces lézards ont-ils une poche pleine d’acariens ?
Acarodomaties, adaptations et polémique
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Les botanistes savent depuis 1887 que les plantes avaient parfois des sortes de poches pleines d’acariens, et les ont nommées acarodomaties ou domaties à acariens [1]. Certaines plantes produisent ces poches pour abriter des acariens, car certains acariens aident les plantes à se défendre. Ces acariens en particulier se nourrissent des insectes et champignons qui attaquent les plante [2] [3]. Mais beaucoup d’autres acariens sont parasites de plantes, et déforment les plantes en créant des galles pour se protéger pendant qu’ils mangent la plante [4].
À cette époque, personne n’avait encore décrit de poches à acariens chez les animaux. Ce n’est qu’en 1925 que les premières poches à acariens ont été décrites sur des geckos, trouvés en Inde [5]. Ces larges poches ont été trouvées sous les aisselles de trois geckos qui étaient remplies d’acariens (avec jusqu’à une soixantaine d’acariens par poche).
Depuis 1925, des poches à acariens ont été décrites chez de nombreuses espèces de geckos et de lézards [6]. Elles sont souvent localisées autour du cou et contiennent des acariens rouges vifs [7].
Sur cette photo d’un lézard de Bolivie, on voit bien les replis très marqués autour du coup qui abritent de très nombreux petits acariens rouges (photo A. Carvalho, publiée ici) :
Les scientifiques se sont immédiatement demandé pourquoi les lézards et geckos cherchent à abriter leurs parasites. C’est généralement le contraire : la plupart des insectes ont des poils partout pour se protéger des acariens parasites.
En 1986, un scientifique du nom de Nick Arnold a réfléchi à la question et suggéré que ces poches sont faites pour attirer tous les acariens au même endroit [8]. Il indique que la peau des lézards, à cet endroit, semble se réparer plus facilement suite au dommage causé par les acariens. Ce serait donc une manière pour le lézard d’éviter d’être envahit par des acariens dans des endroits gênants ou qui cicatriseraient mal.
Une hypothèse intéressante, mais que rejettent catégoriquement en 1990 trois autres chercheurs [9]. Ils rejettent cette hypothèse car seules certaines espèces de lézard semblaient avoir des acariens lorsqu’ils avaient des poches. Ils disent aussi que ces acariens seraient sans danger pour les lézards et il n’y aurait donc de toute façon pas d’avantage pour les lézards à développer des poches si spécialisées sur leurs corps. Eux suggèrent plutôt que les poches ont évoluées pour une autre raison, qui reste à déterminer, et certainement pas à cause des acariens. Ces poches pourraient juste être des oublis de l’évolution, des bouts de peau qui servaient à autre chose et que l’évolution n’a pas encore éliminé. Les acariens profiteraient juste de ces cavités pour mieux s’accrocher aux lézards.
Il faut dire que chez certaines espèces de lézards, les poches à acariens sont beaucoup moins marquées, comme ici chez un lézard des jardins australien (photo Ko-Huan Lee) :
Non content de cette réponse, Nick Arnold publie en 1992 un article pour réfuter le travail de ces chercheurs [10]. Il indique notamment qu’il n’a jamais dit que toutes les poches et aisselles de toutes les espèces de lézards étaient faites pour attirer des acariens, et donne des exemples d’autres évolutions de poches similaires qui n’attirent pas d’acariens. Certains lézards ont des replis de peaux qu’ils utilisent pour planner comme des écureuils volants, et ces replis n’ont évidemment pas évolué juste pour abriter des acariens. Il dit ensuite que peut-être, ces poches ont évolué initialement pour une autre raison, mais que cela n’empêche certainement pas ces poches de remplir désormais une autre fonction. Enfin, il critique aussi le nombre d’observations que les autres auteurs ont fait : tous les lézards n’ont pas forcément des parasites, il faut donc observer de nombreux lézards au sein de chaque espèce avant de pouvoir affirmer que certaines espèces n’ont jamais d’acariens dans leurs poches.
Forcément, l’histoire ne s’est pas arrêtée là , et en 1993, les auteurs de la critique du travail de Nick Arnold lui ont une fois de plus répondu [11], pour essayer de défendre leur point de vue. Ils ont cependant reconnu que trop peu de données sont disponibles pour vraiment tester l’hypothèse d’une poche à acarien qui permettrait de réduire les dégâts causés par les acariens.
Peut-être fatigué du débat, les échanges entre Nick Arnold et ses critiques se sont arrêtés là.
Mais pour combler le manque de données, une autre équipe de scientifiques menée a décidé de boucher ces poches à acariens pour déterminer si elles étaient utiles aux lézards [12]. Ils ont trouvé que les acariens préfèrent effectivement se fixer dans les poches spécialisées, puis sur le tympan quand il n’y a plus de place dans les poches. Ils ont ensuite bouché les poches à acariens de certains lézards avec un peu de colle pour voir si les acariens se fixaient aux tympans quand ils n’avaient pas accès aux poches. Ils ont trouvé que ces lézards avaient plus d’acariens sur les tympans, se déplaçaient beaucoup moins et avaient une plus forte mortalité. Peut-être parce que si un lézard a trop d’acariens sur les tympans, il pourrait ne pas entendre ses prédateurs ou ses proies. Ils ont conclu que l’hypothèse de Nick Arnold semblait correcte pour l’espèce qu’ils avaient étudiée, mais qu’il faudrait d’autres études pour pouvoir généraliser cette conclusion à d’autres espèces de lézards.
Depuis, peu de scientifiques se sont penchés sur la question, peut-être parce qu’il est difficile d’obtenir assez de lézards et d’acariens pour les étudier. Une seule chose est sûre donc : ces impressionnantes poches remplies d’acariens sont encore un mystère et il faudra plus de recherche pour déterminer leur raison d’être.
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Notes et références
[1] Scott-Elliot, G. F. (1912, January). Mites And Acarodomatia. In Transactions of the Botanical Society of Edinburgh (Vol. 24, No. 1-4, pp. 126-135). Taylor & Francis Group.
[2] Matos, C. H., Pallini, A., Chaves, F. F., Schoereder, J. H., & Janssen, A. (2006). Do domatia mediate mutualistic interactions between coffee plants and predatory mites ?. Entomologia Experimentalis et Applicata, 118(3), 185-192.
[3] Agrawal, A. A., & Karban, R. (1997). Domatia mediate plantarthropod mutualism. Nature, 387(6633), 562-563.
[4] Thomsen, J. E. T. T. E. (1988). Feeding behaviour of Eriophyes tiliae tiliae Pgst. and suction track in the nutritive cells of the galls caused by the mites. Entomologiske Meddelelser, 56(2), 73-78.
[5] Loveridge, A. (1925). A mite pocket in the Gecko, Gymnodactylics lawclerarrus Stoliczka. Proceedings of the Zoological Society of London, 95(4), 1431.
[6] Arnold, E. N. (1986). Mite pockets of lizards, a possible means of reducing damage by ectoparasites. Biological journal of the Linnean Society, 29(1), 1-21.
[7] Carvalho, A. L., Rivas, L. R., Céspedes, R., & Rodrigues, M. T. (2018). A new collared lizard (Tropidurus : Tropiduridae) endemic to the Western Bolivian Andes and its implications for seasonally dry tropical forests. American Museum Novitates, 2018(3896), 1-56.
[8] Arnold, E. N. (1986). Mite pockets of lizards, a possible means of reducing damage by ectoparasites. Biological journal of the Linnean Society, 29(1), 1-21.
[9] Bauer, A. M., Russell, A. P., & Dollahon, N. R. (1990). Skin folds in the gekkonid lizard genus Rhacodactylus : a natural test of the damage limitation hypothesis of mite pocket function. Canadian Journal of Zoology, 68(6), 1196-1201.
[10] Arnold, E. N. (1993). Comment—Function of the mite pockets of lizards : an assessment of a recent attempted test. Canadian journal of zoology, 71(4), 862-864.
[11] Bauer, A. M., Russell, A. P., & Dollahon, N. R. (1993). Function of the mite pockets of lizards : a reply to EN Arnold. Canadian Journal of Zoology, 71(4), 865-868.
[12] Salvador, A., Veiga, J. P., & Civantos, E. (1999). Do skin pockets of lizards reduce the deleterious effects of ectoparasites ? An experimental study with Psammodromus algirus. Herpetologica, 1-7.