E120 ou rouge carmin : vous mangez des cochenilles broyées
Insecta ; Hemiptera ; Dactylopiidae ; Dactylopius coccus - Colorant E120, Acide carminique, rouge carmin, rouge cochenille.
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Le colorant E120, ou rouge carmin est un colorant issu de cadavres de cochenilles broyées. C’est aujourd’hui un des additif alimentaire les plus communs dans nos assiettes : il produit un très beau rouge vif, n’est pas cher à produire (il suffit de récolter les cochenilles sur des cactus tout plats, les Opuntia) et est autorisé en Europe et dans la plupart des pays du globe. Vous mangez donc probablement des insectes toute la journée sans même le savoir. Jetez donc un coup d’oeil aux listes d’additifs alimentaires des produits que vous mangez au quotidien : bonbons, charcuteries, viandes, petits gâteaux, yaourts, confitures, sauces tomates, jus de fruits, et à vrai dire tout ce qui vous paraît un peu trop rouge ou rose pour être tout à fait naturel. Mais ce n’est pas tout, regardez sur vos savons et shampoings, sur vos sticks de rouge à lèvre et vos vernis à ongles, peut-être passez-vous la journée à vous recouvrir le corps d’insectes broyés, car le rouge carmin est aussi présent dans la plupart des produits cosmétiques. Et ce n’est pas fini, car vos vêtements rouges sont peut-être aussi colorés à la cochenille écrasée, tout comme vos tapis d’Orient et certaines peintures.
Il n’y a pas marqué E120 sur les produits que je mange et les cosmétiques que je me tartine sur le visage : suis-je sain et sauf ?
Et non, car pour réussir à vendre leurs produits contenant de la purée de cochenille aux insectophobes, les spécialistes marketing de l’agroalimentaire ont une super parade, ils utilisent une innombrable quantité de synonymes plus alambiqués les uns que les autres. Dans les listes d’additifs alimentaires et des produits participant à la confection de produits cosmétiques, ou "nomenclature internationale des ingrédients cosmétiques (INCI)", la cochenille apparaît donc aussi sous les noms suivants [1] : cochenille, E120, crimson lake, carmin lake, cochineal, acide carminique, rouge cochenille, natural red 4, carmins, carmine, rouge carmin, carmin de cochenille, CI 75470, C22H20O13, et enfin la formule chimique : Acide β-D-glucopyranosyl-7-tétrahydroxy-3,5,6,8-méthyl-1-dioxo-9,10-antracènecarboxylique-2.
Attention cependant, on ne parle pas ici du E124 ou Ponceau 4R, ou Rouge cochenille A, qui est la version synthétisée de manière chimique de notre rouge cochenille "naturel". Si vous mangez du E124, vous ne mangez pas de cochenille.
Oui, mais le colorant est extrait donc je ne mange que de l’acide carminique et pas vraiment de la cochenille ?
Bien tenté, mais comme le précise le règlement de l’Union Européenne concernant les colorants alimentaires [2] : "Les produits commercialisés peuvent également renfermer des matières protéiniques provenant de l’insecte d’origine et peuvent contenir des carminates libres ou un faible résidu de cations aluminium non liés". Il peut donc rester un petit peu de résidus de cochenille dans votre rouge carmin, et aussi un petit peu d’aluminium, ce qui n’est généralement pas considéré comme étant très bon pour la santé.
D’ailleurs, même si cela fait débat au sein des communautés religieuses, certains musulmans considèrent que la cochenille rouge n’est pas halal parce qu’elle provient d’un insecte (et les insectes ne sont pas considérés comme étant halal). De la même manière, certains juifs orthodoxe préfèrent éviter le colorant E120 qui ne serait pas cacher. Mais ces positions font débat au sein de ces communautés parce qu’elles semblent dépendre de l’interprétation des textes religieux : savoir si le colorant est halal ou cacher dépend de s’il est considéré comme de la nourriture ou comme simple colorant alimentaire. Il est aussi très difficile d’éviter de consommer ce colorant alimentaire présent dans de très nombreux produits, en particulier dans des produits traditionnels comme les fameuses merguez, ce qui complique évidemment le débat.
Bon, si je suis condamné à manger de la cochenille, puis-je au moins savoir à quoi ça ressemble ?
Très bonne initiative, accrochez-vous c’est un peu complexe. Pour fabriquer le colorant de votre rouge à lèvre, différentes espèces de cochenilles peuvent être utilisées. Il y a la cochenille polonaise (Porphyrophora polonica), la cochenille arménienne (Porphyrophora hamelii), mais surtout la cochenille à rouge carmin Dactylopius coccus. Cette dernière est la plus fréquemment rencontrée dans les cultures de cochenilles du Pérou, du Mexique et des Îles Canaries. C’est un petit insecte proche des pucerons, mais dépourvu d’ailes. Il vit en petits groupes (souvent une femelle et ses descendants) et bouge peu. Fixé sur un cactus du genre Opuntia, il passe sa journée à prélever la sève de sa plante hôte pour se nourrir. Contrairement à ce que vous avez probablement pu penser, la cochenille à rouge carmin n’est pas du tout rouge ! Au contraire, elle a un aspect farineux et cireux, elle produit en effet une substance blanche qui recouvre son corps rouge. Cette cire blanche protège l’insecte de certains prédateurs, de parasites, du développement de champignons, et la couleur blanche participe certainement à protéger l’insecte de la dessiccation en renvoyant les rayons du soleil.
Les principales cultures d’Opuntia servant à l’élevage de cochenilles se trouvent au Mexique, pays historique de l’élevage de cochenilles à rouge carmin, mais aussi et surtout au Pérou, au Chili, en Bolivie, aux Îles Canaries, en Espagne, en Afrique du Nord et dans d’autres pays d’Amérique centrale.
Est-ce facile d’élever des cochenilles à rouge carmin ?
Moi aussi je me voyais bien sirotant une tequila aux îles Canaries ou au Pérou en regardant les cactus pousser. Après tout, je me disais, les cochenilles sont les cousines des pucerons, ça ne peut pas être bien difficile à élever.
C’est d’ailleurs aux Îles Canaries, et plus précisément au village de Guatiza sur l’île de Lanzarote, que j’ai pris les photos de cet article [3]. Bien malheureusement pour les agriculteurs élevant des cochenilles, leur vie n’est pas si simple. Une coccinelle a été introduite par les cultivateurs de bananes [4], pour contrôler... les invasions de pucerons et de cochenilles dont souffrent les bananiers ! Et elle dévore aussi les cochenilles productrices du rouge E120. Cette coccinelle rouge et noire appartient probablement à l’espèce Cryptolaemus montrouzieri et est bizarrement originaire d’Australie, à l’autre bout du globe.
Cependant, si vous êtes intéressés par l’entomophagie (la consommation d’insectes) il existe de nombreuses autres options pour cuisiner des insectes.
La voici, cette coccinelle, dévorant des cochenilles à rouge carmin sur une raquette d’Opuntia, à Lanzarote :
Pourquoi la cochenille produit-elle du rouge carmin ?
Malgré sa couleur, le rouge carmin n’a rien à voir avec du sang. Il s’agirait d’une substance défensive utilisée pour repousser les prédateurs, dont les fourmis. Un petit papillon de nuit du nom de Laetitia coccidivora est cependant capable de s’en prendre aux cochenilles lorsqu’il est au stade de chenille. La chenille dévore les cochenilles et stocke le rouge carmin. Si une fourmi attaque la chenille, celle-ci régurgite une gouttelette contenant du rouge carmin. Des scientifiques se sont intéressés à ce comportement et ont montré que la substance régurgitée agissait comme un répulsif à fourmis [5].
La cochenille n’a pas l’air si terrifiante, mais comment se passe l’extraction du colorant E120 ?
Les cochenilles adultes sont récoltées et séchées, le plus souvent au soleil. Les graisses et cires sont retirées à l’aide d’un solvant comme l’Hexane. Les cochenilles sont ensuite broyées en poudre. Soit la poudre contenant de l’acide carminique est utilisée telle quelle sous le nom de E120(ii) ou d’acide carminique, soit elle est mélangée à de l’eau contenant du carbonate de sodium et portée à ébullition dans un réacteur durant 30 minutes. Les molécules responsables de la coloration rouge, ou acide carminique, sont ainsi dissoutes dans l’eau. L’eau rouge est filtrée pour retirer les impuretés. De l’acide citrique, de l’alun broyé et des ions chlorures sont ajoutés à la solution rouge pour précipiter l’acide carminique sous la forme de sel d’aluminium rouge. La solution est laissée au repos durant plusieurs heures, le temps que le sel d’aluminium rouge sédimente. Le sel sédimenté est prélevé et centrifugé puis séché et stérilisé avant d’être emballé pour la commercialisation. Le sel d’aluminium rouge obtenu selon ce procédé est alors appelé carmin ou E120(i) [6].
Alors, vous êtes rassurés ?
Si cet article vous a plu, pensez à visiter le café des sciences.
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Notes et références
[1] La liste peut ne pas être exhaustive.
[2] Règlement (UE) No 231/2012 De la comission du 9 mars 2012 établissant les spécifications des additifs alimentaires énumérés aux annexes II et III du règlement (CE) no 1333/2008 du Parlement européen et du Conseil.
[3] Eiland, Murray L., Jr. & Eiland, Murray L., III (1998). Oriental Carpets. Boston : Little, Brown and Company. ISBN 0-8212-2548-0.
[4] Introduction d’une coccinelle pour contrôler la pullulation de cochenilles aux Îles Canaries, sur les plantations de bananes : références 1, 2 et 3
[5] Eisner, T., Nowicki, S., Goetz, M., & Meinwald, J. (1980). Red cochineal dye (carminic acid) : its role in nature. Science, 208(4447), 1039-1042.
[6] L’extraction du carmin de cochenille, processus d’extraction avec des notes sur le développement économique des pays producteurs de cochenilles.
Vos commentaires et questions:
Rien à redire sur votre article, très intéressant au demeurant, mais une faute d’orthographe inacceptable : "des ions chlorures y seraient ajouter" au lieu de "ajoutà‰S"
Un article, avant d’être diffusé, doit être relu !
C’est tout.
C.V.
Merci pour cette correction.
Merci d’abord pour cet article que je trouve très intéressant, je suis de Maroc ,future ingénieure agronome et je veut produire le rouge carmin E121, ma question Est ce qu’il aura des acheteurs ?? Si oui comment je peux vendre ?
Merci par avance
Bonjour,
je ne suis pas bien sur pour les ventes, j’espère que quelqu’un saura vous répondre.
Bien cordialement
Article très intéressant et complet ! J’en ai appris beaucoup sur cette pratique que je redoute tant quand je fais mes courses ! Merci
Moi qui bois beaucoup de coca.je suis dégoûté. Je vais éviter d’en consommer. Merci pour l’information.