L’incroyable guêpe qui plonge pour parasiter des larves aquatiques

Insecta, Hymenoptera, Ichneumonidae, Agriotypus armatus & Insecta, Trichoptera


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Cycle biologique d’Agriotypus armatus

Agriotypus armatus est une guêpe au mode de vie très particulier. Cet insecte solitaire appartient à la grande famille des Ichneumonidae, des guêpes qui sont toutes parasites. Leurs larves ne se développent qu’en dévorant d’autres larves, parfois même de l’intérieur (endoparasitoïde) ou bien simplement fixées sur leur hôte (ectoparasitoïde). Et Agriotypus armatus n’a pas choisi l’hôte le plus simple à parasiter. Cette guêpe ne pond ses oeufs que dans les fourreaux de graviers et de débris végétaux construits par les larves de certains trichoptères. Et les larves de trichoptères sont toutes aquatiques ou presque [1]. C’est pour cette raison que les femelles d’Agriotypus armatus, qui passent la plupart de leurs vies d’insectes adultes à butiner les fleurs, se jettent parfois à l’eau. Peu après l’accouplement, elles cherchent une rivière ou une mare abritant ses larves de trichoptères hôtes.

Passer de la vie aérienne et terrestre à la vie aquatique n’est pas une chose simple. Chaque insecte y va de sa technique pour survivre sous l’eau une fois adulte. Les coléoptères comme les dytiques stockent l’air dans le creux de leurs élytres, l’hydrophile retient l’air sous son abdomen et les nèpes utilisent un syphon. Mais aucun d’entre eux n’a le courage de plonger dans l’eau complètement entouré de bulles d’air en rampant le long des rochers et des tiges de plantes immergées comme le fait la femelle d’Agriotypus armatus. Une fois au fond de l’eau, elle monte sur un fourreau de trichoptère, l’inspecte puis perce le fourreau à l’aide de son ovipositeur. Elle dépose un unique oeuf qui éclot rapidement.

Photo d’Agriotypus armatus femelle pondant dans un étui nymphal de Silo pallipes :

Une guêpe solitaire de la famille des ichneumonidae, des Hyménoptères parasites de nombreux insectes, en train de pondre ses oeufs dans le fourreau d'un trichoptère à l'état larvaire du genre Silo.
Guêpe solitaire Agriotypus armatus parasitant une larve de trichoptère dans son fourreau
Simon Grenier

La larve de l’hyménoptère commence alors à prélever l’hémolymphe (le "sang" des insectes, qui ne transporte que les nutriments et pas l’oxygène) de la larve de trichoptère, tout en lui en laissant assez pour que celle-ci puisse continuer son développement. La larve de trichoptère continue à vivre, à manger, et fini par boucher le fourreau avec une pierre avant de se transformer en nymphe pour se métamorphoser en trichoptère adulte. Mais la larve de la guêpe ne l’entend pas de cette oreille : elle suce l’hémolymphe de son hôte jusqu’à son avant dernier stade de développement. A l’avant dernier stade, la larve de l’Agriotypus dévore entièrement le trichoptère. La larve effectue ensuite une dernière mue, puis tisse un cocon fait de deux parois à l’intérieur même du fourreau du trichoptère. Mais ce n’est pas tout. La larve se met à fabriquer un étrange et très long ruban ressemblant à une bande noire ou brune qu’elle pousse au fur et à mesure hors du fourreau [2].
Voici un tube de verre dans lequel s’est développé un Agriotypus armatus parasitant Silo pallipes, le parasite est au stade imaginal (nymphe presque "adulte") :

Photographie d'une larve d'Agriotypus armatus, un hyménoptère ichneumonidae parasite de trichoptères, dont la larve fabrique un ruban juste avant de se transformer en nymphe.
Larve d’Agriotypus armatus avec le ruban fabriqué par la nymphe
Simon Grenier

Certains scientifiques pensent que ce ruban sert à capturer l’air diffus dans l’eau, et à l’amener dans le fourreau. Les cocons tissés par la larve se remplissent en effet rapidement de bulles d’air qui se forment à proximité du ruban. La larve se transforme ensuite en nymphe et passe l’hiver sous l’eau, dans son cocon gonflé d’air.

Dessin d’une vue en coupe d’un étui d’une larve de trichoptère (Silo pallipes) parasité par un Agriotypus armatus au stade de nymphe :

Schéma montrant une nymphe de l'hyménoptère ichneumonidae Agriotypus armatus. La nymphe se trouve dans le fourreau de sa larve de trichoptère hôte qu'elle a dévoré. On voit que le fourreau est bouché par une pierre fixé à de la soie, et qu'un ruban sort du fourreau.
Schéma du fourreau d’une larve de trichoptère parasitée par une nymphe d’Agriotypus armatus
A. : Agriotypus armatus adulte prêt à sortir du fourreau. C. : soie sécrété par le Trichoptère qui retient la pierre qui ferme le fourreau. E.l.n. : exuvies d’Agriotypus armatus (les "peaux" des différents stades de la larve et de la nymphe, que l’insecte quitte à la fin de chaque stade pour pouvoir grandir). E.T. : fourreau du Trichoptère, fait de débris végétaux et de graviers tenus ensemble par la soie tissée par la larve de trichoptère. Mé. : méconium (nom scientifique des premières déjections des insectes) ; M.p. : membrane de soie. P.f. : pierre de fermeture de l’étui. R. : restes de la dépouille du Trichoptère parasité. T. : éléments sécrétés par la larve d’Agriotypus armatus, dans l’ordre de tissage.
Simon Grenier

Ce n’est qu’au mois d’Avril que l’Agriotypus armatus, désormais adulte, se décide à sortir de son cocon et à quitter le milieux aquatique. Mais comment faire pour ne pas rester coller au fond de l’eau, et pour éviter la noyade ? L’adulte découpe simplement les parois de son cocon et du fourreau, et la bulle d’air formée à l’intérieur s’échappe du fourreau en emportant avec elle l’Agriotypus adulte qui se retrouve propulsé à la surface de l’eau. Une fois à la surface, ils flottent et se propulsent à l’aide de leurs ailes, jusqu’à ce qu’ils trouvent un support auquel s’agripper pour quitter la surface de l’eau.
Les adultes s’accouplent ensuite, et le cycle recommence.

Deux familles d’hôtes, deux sortes d’Agriotypus armatus ?

La plupart des hôtes d’Agriotypus armatus sont des trichoptères de la famille des Goeridae ((Silo pallipes, Silo graellsi, Silo piceus, Silo nigricornis, Goera pilosa, Lithax niger, Lithax obscurus), mais une des espèces d’hôtes appartient à la famille des Odontoceridae (Odontocerum albicorne) [1]) et ces deux familles sont très éloignées du point de vue de l’évolution. Il est donc possible d’observer des guêpes très différentes, mais de la même espèce, en fonction de l’hôte sur lequel elles se sont développées ! Ces deux "formes" de guêpes très différentes peuvent cependant se reproduire entre elles [1]

Répartition d’Agriotypus armatus

Cette espèce a été trouvée pour la première fois en Angleterre en 1832 et les premières observations de la relation entre cette guêpe et son hôte datent de 1836 [3], mais ce n’est qu’un siècle plus tard que les biologies de l’ichneumonidae et de son hôte ont commencé à être étudiées en détail [4] [5].

Agriotypus armatus est présent en France, mais aussi en Espagne [6], en Italie [7], dans les pays des Balkans [8] et en Autriche [9]

Plusieurs espèces du même genre et aux moeurs très similaires ont été observées et étudiées au Japon [10] [11] [12] et en Birmanie [13].

Il est intéressant de noter qu’une autre espèce de guêpes de la famille des Ichneumonidae, Tanychela pilosa, a un mode de vie semi-aquatique similaire. Cette guêpe solitaire américaine et méxicaine parasite des chenilles aquatiques de papillons de la famille des pyrales, du genre Argyractis et de l’espèce Petrophila confusalis [14].

Remerciements

Toutes les photographies et le schéma de la nymphe sont le fruit du travail de Mr. Simon Grenier. Un grand merci à Mr. Simon Grenier pour son aimable autorisation. Une grande partie des informations sur la biologie de la guêpe présentée dans cet article proviennent de son article : Grenier, S. (1970). Biologie d’Agriotypus armatus Curtis (Hymenoptera : Agriotypidae), parasite de nymphes de Trichopteres. In Annales de Limnologie (Vol. 6, No. 03, pp. 317-361). EDP Sciences.


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Notes et références

[1Voir l’article sur les larves de trichoptères terrestres.

[2Grenier, S. (1970). Biologie d’Agriotypus armatus Curtis (Hymenoptera : Agriotypidae), parasite de nymphes de Trichopteres. In Annales de Limnologie (Vol. 6, No. 03, pp. 317-361). EDP Sciences.

[3Voir un résumé bibliographique des toutes premières études sur cette guêpe : Rousseau, E., & Schulz, W. A. (1907). Les Hyménoptères aquatiques.

[4Clausen, C. P. (1931). Biological observations on Agriotypus (Hymenoptera). Proc Entomol Soc Wash, 33, 29-37.

[5Fisher, K. (1932, July). 23. Agriotypus armatus (Walk.)(Hymenoptera) and its Relations with its Hosts. In Proceedings of the Zoological Society of London (Vol. 102, No. 2, pp. 451-461). Blackwell Publishing Ltd.

[6Urretabizkaia, P. L., Urdapilleta, M. C. E., Miranda, R., & Oscoz, J. (2004). Primera cita de Agriotypus armatus Curtis, 1832 (Hymonoptera : Ichneumonidae) en Navarra (Espana). Munibe Ciencias Naturales. Natur zientziak, (55), 237-242.

[7Shestani, L., & Morisi, A. Segnalazione di Agriotypus armatus Curtis, 1832 per il cuneese (Piemonte, Italia)(Hymenoptera, Ichneumonidae).

[8Bjelanovic, K., zivic, I., Petrovic, A., Djordjevic, J., Markovic, Z., & zikic, V. (2014). Agriotypus armatus Curtis, 1832, a parasitoid of Silo pallipes Fabricius, 1781 : the first record for the Balkan Peninsula. Knowledge and Management of Aquatic Ecosystems, (414), 05.

[9Schmall J. (1955) Vorkommen der Wasserschlupfwespe Agriotypus armatus Walk als Parasit in Tricho pterenlarven, im Gebiete des Hallstättersees. Arch. f. Hydrobiol 50(1):141.

[10Chao, H. F., & Zhang, Y. C. (1981). Two new species of Agriotypus from Jilin Province (Hymenoptera : Ichneumonoidea, Agriotypidae). Entomotaxonomia, 3(2), 79-86.

[11Aoyagi, M., & Ishii, M. (1991). Host acceptance behavior of the Japanese aquatic wasp, Agriotypus gracilis (Hymenoptera : Ichneumonidae) toward the caddisfly host, Goera japonica (Trichoptera : Limnephilidae). Journal of Ethology, 9(2), 113-119.

[12KoNisHi, K., & AoyAGI, M. (1994). A new species of the genus Agriotypus (Hymenoptera, Ichneumonidae) from Japan. 62(3), 421-431.

[13Gupta, V. K., & Chandra, G. (1975). A new Agriotypus from Burma and redescription of A. gracilis Waterson (Hymenoptera : Agriotypidae). Journal of Natural History, 9(3), 351-355.

[14Resh V.H. & Jamieson W. (1988.) Parasitism of the aquatic moth Petrophila confusalis (Lepidoptera : Pyralidae) by the aquatic wasp Tanychela pilosa (Hymenoptera : Ichneumonidae). Entomological News, 99 : 185-188.



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