La communication chez les fourmis : indiquer le chemin aux membres de la colonie
Tandem-running, portage social, recrutement de groupe, pistes chimiques de phéromones

Il suffit souvent de baisser les yeux sur le sol pour trouver une fourmi : pourquoi les fourmis sont-elles si abondantes ? Probablement grâce à leur capacité à trouver et à s’approprier les sources de nourriture disponibles dans la nature [1]. Et pour cela, les fourmis doivent être capables de communiquer entre elles l’emplacement de ces sources de nourritures...
Comment une fourmi communique-t-elle l’emplacement d’une source de nourriture (ou d’un nouveau nid) aux membres de sa colonie ?
Il existe en réalité plusieurs réponses à cette question : toutes les espèces de fourmis n’utilisent pas les mêmes moyens de communication.
Les petites fourmis du genre Temnothorax, par exemple, sont spécialisées dans une des méthodes les plus simples pour recruter une autre ouvrière de la colonie : le tandem-running [2] [3].
Ce moyen de communication est simple : lorsqu’une fourmi trouve une source de nourriture, elle en prélève une partie puis rentre au nid. Elle cherche alors une autre ouvrière de sa colonie, partage un peu de sa nourriture avec elle en effectuant une trophallaxie, et l’invite à la suivre. L’ouvrière invitée suit la première ouvrière en la touchant du bout de ses antennes. Dès que le contact est rompu, la première ouvrière s’arrête et attend que la suiveuse la retrouve. Une fois arrivée à la source de nourriture, les deux fourmis retournent au nid recruter deux autres ouvrières... A chaque aller-retour, le nombre d’ouvrières recrutées double !
A la place de suivre la première ouvrière, la deuxième fourmi peut se contenter de se laisser porter par la première : ce comportement est appelé portage social [4] : l’ouvrière qui connait une source de nourriture (ou parfois l’emplacement d’un nouveau nid, les fourmis déménagent souvent), une fois de retour au nid, invite une autre ouvrière à se laisser porter et l’emmène jusqu’à l’endroit qu’elle souhaite lui faire découvrir.

Ces deux premières méthodes sont certes efficaces, mais il est encore plus efficace de recruter un petit groupe d’ouvrières au lieu d’un seule ouvrière à la fois. Durant le recrutement de groupe [5], une ouvrière qui a trouvé une source de nourriture retourne au nid chercher un petit groupe d’ouvrières. Pour leur communiquer l’emplacement, la première ouvrière laisse derrière elle des traces chimiques. Le petit groupe d’ouvrières recrutées suit la première fourmi à la fois visuellement et en s’aidant des indices chimiques déposés.
Recrutement de groupe chez des Camponotus australiennes :
Recrutement de groupe chez des Camponotus espagnoles :
Enfin, la méthode de recrutement la plus rapide et efficace pour communiquer à un grand nombre d’ouvrières la position d’une source de nourriture est appelée recrutement de masse [6]. Lorsqu’une ouvrière a trouvé une source de nourriture, elle dépose une piste chimique de phéromones, des molécules produites dans son abdomen (par différentes glandes, comme celles de Pavan et de Dufour, ou la glande à poison). Immédiatement, les ouvrières de la colonie en recherche de nourriture qui croisent cette piste vont la suivre. Elles déposent elles aussi des phéromones de piste lors de leurs trajets retours (et même dès l’aller pour certaines espèces, alors qu’elles ne savent pas encore où mène la piste !). De cette manière, une seule ouvrière peut communiquer l’emplacement d’une source de nourriture à des centaines d’autres fourmis... C’est pour cela que l’on peut observer des colonnes de fourmis sur le sol ou le long des murs.

Si la source de nourriture est importante et nécessite de nombreux allers et retours, par exemple un champs pour les fourmis granivores ou un arbre pour les fourmis champignonnistes, les fourmis nettoient la piste au fur et à mesure de leurs passages pour faciliter l’accès à la source de nourriture. Chez certaines espèces, les plus petites ouvrières sont même spécialisées dans l’entretient des pistes [7].
Références
[1] Holldobler, B., & Wilson, E. O. (1990). The Ants. Harvard Belknap, Cambridge.
[2] Voir l’article précédent sur les vidéos de tandem-running chez les fourmis
[3] Wilson, E. O. (1959). Communication by tandem running in the ant genus Cardiocondyla. Psyche, 66(3), 29-34.
[4] Moglich, M., & Holldobler, B. (1974). Social carrying behavior and division of labor during nest moving of ants. Psyche, 81(2), 219-236.
[5] Beckers, R., Deneubourg, J. L., Goss, S., & Pasteels, J. M. (1990). Collective decision making through food recruitment. Insectes sociaux, 37(3), 258-267.
[6] Beckers, R., Goss, S., Deneubourg, J. L., & Pasteels, J. M. (1989). Colony size, communication, and ant foraging strategy. Psyche, 96(3-4), 239-256.
[7] Evison, S. E., Hart, A. G., & Jackson, D. E. (2008). Minor workers have a major role in the maintenance of leafcutter ant pheromone trails. Animal Behaviour, 75(3), 963-969.