Les fourmis coupeuses de feuilles ou fourmis champignonnistes
Hymenoptera ; Formicidae ; Myrmicinae ; Acromyrmex et Atta
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Les fourmis de la tribu des Attini sont des fourmis sud-américaines spécialisées dans la culture d’un champignon dont elles se nourrissent. Leur activité de fourragement est donc centrée autour de la culture de ce champignon, qui nécessite que des fragments de végétaux soient collectés et transformés en un substrat de culture adapté.
Pour cela les fourmis découpent, transportent, lèchent et malaxent des fragments végétaux. Ces fourmis sont donc couramment appelées « fourmis coupeuses de feuilles » ou « fourmis champignonnistes », voire encore « fourmis parasols » à cause de l’ombre portée par le morceau de feuille qu’elles transportent.
L’activité de culture du champignon est facilitée chez les fourmis coupeuses de feuilles par l’existence dans une même colonie de plusieurs tailles de fourmis : les petites fourmis accèdent aux plus petits replis du champignon alors que les plus grandes sont capables de transporter des fragments végétaux plus importants.
Les scientifiques désignent par le mot polymorphisme ces différences de tailles. Elles sont observées en particulier chez les fourmis coupeuses de feuilles des genres Atta [1] et Acromyrmex [2]. Les plus petites fourmis du genre Atta jouent aussi un rôle essentiel dans le maintien des pistes chimiques tracées par les fourmis entre le nid et les sources de nourriture. En effet, elles renforcent les pistes en effectuant de nombreux demi-tours pour déposer plus de phéromones [3]. [4].
Les plus petites fourmis ont un autre rôle chez les fourmis coupeuses de feuilles : elles défendent les plus grandes, occuppées à transporter des morceaux de feuilles ou de pétales, contre les attaques de petites mouches parasites des fourmis. Pour cela, les petites ouvrières montent sur les feuilles portées par les grandes et attaquent les mouches parasites de la famille des Phoridae qui s’en approchent [5] [6] [7] [8] [9]. Ces petites mouches dérangent tellement les fourmis que celles-ci peuvent diminuer leur activité de recherche de fragments végétaux [10] !
Ce ne sont donc pas les mêmes fourmis qui récoltent les feuilles, les ramènent, les lèchent puis cultivent les champignons et en nourrissent leurs larves. Chaque étape est effectuée par une sous-caste de fourmis spécialisées dans une tâche précise en fonction de sa taille : on parle de polyéthisme. Les plus grosses ouvrières s’occupent ainsi généralement de la récolte et de la découpe des feuilles, qu’elles déposent le long des pistes.
D’autres grosses ouvrières prennent alors la relève et emmènent les fragments au nid, où elles les déposent.
Les plus petites récupèrent et préparent ensuite les feuilles pour la culture du champignon en les malaxant entre leurs mandibules. Elles réalisent ensuite un véritable travail d’agricultrices, bouturant le champignon pour le déposer sur les feuilles fraichement mâchées, et le léchant pour en retirer les spores d’autres champignons et les bactéries [11]. Ce partage des tâches est essentiel pour les fourmis coupeuses de feuilles : les plus petites seraient incapables de couper des fragments végétaux, et les plus grosses ne peuvent pas passer dans les petits replis du champignon.
De retour au nid, les fourmis champignonnistes préparent les feuilles pour la culture du champignon. De cette manière, elles consomment également une partie de la sève de la plante [12]. Les fourmis coupeuses de feuilles vivent en étroite association avec d’autres champignons et bactéries. Ces autres microorganismes associés aux fourmis protègent le champignon contre d’autres organismes qui pourraient le parasiter ou le dévorer [13] [14]. Après avoir léché et malaxé les végétaux, elles les intègrent à la structure de leur nid qui est principalement constitué du champignon. Celui-ci remplit de grandes cavités creusées dans le sol par les fourmis. Le champignon, en se développant, produit des hyphes dont se nourrissent les fourmis.
Ne vous attendez pas à voir un "champignon" à chapeau comme ceux que l’on croise sur le bord des routes. Les champignons que mangent ces fourmis sont plus proches des levures du pain et forment une masse grisâtre creusée de salles circulaires dans lesquelles vivent les fourmis :
Lorsqu’elles se reproduisent, les reines doivent s’envoler pour rencontrer les mâles d’autres colonies et s’accoupler. Mais elles ne pourraient pas fonder une nouvelle colonie sans l’aide du champignon : il s’agit d’une symbiose, l’association entre le champignon et la fourmi est obligatoire pour la survie de ces deux organismes (certains champignons associés aux fourmis peuvent tout de même survivre sans elles).
Les princesses emmènent donc un petit morceau de ce champignon lorsqu’elles s’envolent. Une fois fécondée, la reine arrache ses ailes et creuse un long tunnel sous terre. Au bout de ce tunnel elle creuse une salle dans laquelle elle recrache les fragments d’hyphes stockés dans sa cavité buccale. Elle pond quelques oeufs et commence à cultiver le champignon sur ses déjections. Beaucoup des premiers oeufs serviront de nourriture à la reine elle-même ou à ses premiers larves. [15]
Cette reine seule produira au cours de sa vie des milliers d’ouvrières, qui pourront cultiver plusieurs tonnes de champignon et former un gigantesque super-organisme.
Dans le désert d’Arizona, Acromyrmex versicolor collecte des graines durant la saison sèche pour remplacer les feuilles et garder son champignon vivant :
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Notes et références
[1] Wetterer, J. K. (1994). Forager polymorphism, size-matching, and load delivery in the leaf-cutting ant, Atta cephalotes. Ecological entomology, 19(1), 57-64.
[2] Muscedere, M. L., Berglund, J. L., & Traniello, J. F. (2011). Polymorphism and division of labor during foraging cycles in the leaf-cutting Ant Acromyrmex octospinosus (Formicidae, Attini). Journal of insect behavior, 24(2), 94-105
[3] Evison, S. E., Hart, A. G., & Jackson, D. E. (2008). Minor workers have a major role in the maintenance of leafcutter ant pheromone trails. Animal Behaviour, 75(3), 963-969.
[4] On peut observer une spécialisation encore plus poussée chez d’autres espèces de fourmis qui ne cultivent pas de champignons. Les ouvrières minor de l’espèce Pheidole embolopyx (qui présente un dimorphisme morphologique bimodal très net) sont spécialisées dans l’activité de maintien des pistes de phéromones, mais ce sont à la fois les major et les minor qui suivent les pistes lors du fourragement. Les major ne déposent pas de phéromone de piste et sont spécialisées dans le transport de la nourriture voir Wilson, E. O., & Holldobler, B. (1985). Caste-specific techniques of defense in the polymorphic ant Pheidole embolopyx (Hymenoptera, Formicidae). Insectes sociaux, 32(1), 3-22.
[7] Feener Jr, D. H., & Brown, B. V. (1993). Oviposition behavior of an ant-parasitizing fly, Neodohrniphora curvinervis (Diptera : Phoridae), and defense behavior by its leaf-cutting ant host Atta cephalotes (Hymenoptera : Formicidae). Journal of Insect Behavior, 6(6), 675-688.
[8] Feener Jr, D. H., & Moss, K. A. (1990). Defense against parasites by hitchhikers in leaf-cutting ants : a quantitative assessment. Behavioral Ecology and Sociobiology, 26(1), 17-29.
[9] Erthal, M., & Tonhasca, A. (2000). Biology and oviposition behavior of the phorid Apocephalus attophilus and the response of its host, the leaf-cutting ant Atta laevigata. Entomologia Experimentalis et Applicata, 95(1), 71-75.
[10] Bragança, M. A. L., Tonhasca, A., & Lucia, T. (1998). Reduction in the foraging activity of the leaf-cutting ant Atta sexdens caused by the phorid Neodohrniphora sp. Entomologia experimentalis et applicata, 89(3), 305-311.
[11] Holldobler, B., & Wilson, E. O. (1996). Voyage chez les fourmis : Une exploration scientifique. Ed. du Seuil.
[12] Quinlan, R. J., & Cherrett, J. M. (1979). The role of fungus in the diet of the leaf†cutting ant Atta cephalotes (L.). Ecological Entomology, 4(2), 151-160.
[13] Currie, C. R., Scott, J. A., Summerbell, R. C., & Malloch, D. (1999). Fungus-growing ants use antibiotic-producing bacteria to control garden parasites. Nature, 398(6729), 701-704.
[14] Currie, C. R., Bot, A. N., & Boomsma, J. J. (2003). Experimental evidence of a tripartite mutualism : bacteria protect ant fungus gardens from specialized parasites. Oikos, 101(1), 91-102.
[15] Holldobler, B., & Wilson, E. O. (1996). Voyage chez les fourmis : Une exploration scientifique. Ed. du Seuil.