Nouveaux animaux de compagnie : des dizaines d’espèces invasives vendues en ligne

Le commerce des animaux de compagnie et « animaux d’ornement » brasse plusieurs milliards d’euros par an dans le monde. Ce commerce ne s’arrête pas aux classiques chats et chiens, mais concerne aussi des espèces plus exotiques et souvent non-domestiquées. La plupart sont des oiseaux, rongeurs, poissons, reptiles et amphibiens vendus légalement, mais on trouve aussi des espèces potentiellement dangereuses, comme les piranhas, loups, crocodiles et singes. On peut même trouver en vente des invertébrés exotiques, puisque certaines boutiques en ligne vendent des fourmis, des scorpions ou des mygales.

Une fourmi bouledogue d'Australie (Myrmecia sp), que les collectionneurs de fourmis apprécient particulièrement en raison de son corps rouge, de ses vives couleurs, de sa grande taille et de la douloureuse piqure que ces fourmis peuvent infliger.
Une fourmi bouledogue australienne, prisée des vendeurs de fourmis

Comme vous l’aurez deviné, chaque année, des centaines d’entre eux sont abandonnés, relâchés dans la nature, ou s’échappent simplement de leurs cages. De nombreux exemples sont connus, on entend par exemple souvent parler de pythons qui se volatilisent. Près de Paris, une population de wallabies a été découverte près d’un zoo dont ils s’échappaient régulièrement. Dans les égouts de Paris toujours, les égoutiers ont découvert un alligator en 1984, et un autre avait été trouvé dans la rue à Montréal en 2019. Plus récemment, des cousins des piranhas, les pacus, ont été pêchés dans la Seine et des petits rongeurs venus du Chili et appelés octodons sont parfois trouvés dans les parcs de France.

Dans une étude consultable en ligne [1], Jérôme Gippet et Cleo Bertelsmeier, deux biologistes de l’université de Lausanne (Suisse), se sont penchés sur la question. Ils ont montré qu’il y avait une très forte proportion d’espèces invasives parmi les animaux vendus, bien au-delà de ce qui était attendu. Ils se sont ensuite demandés si cette trop forte proportion d’espèces invasives dans le commerce était une conséquence de la vente (les animaux sont dispersés partout et deviennent invasifs), ou si les espèces qui ont des traits invasifs sont simplement préférées par les vendeurs (parce qu’elles sont faciles à trouver ou élever par exemple).

Les espèces d'animaux invasives sont présentes en plus grande proportion dans les magasins. Deux hypothèses sont possibles: les animaux vendus ont plus de chance d'être dispersés et de devenirs invasifs - et s'ils sont gardés dans les boutiques en ligne la proportion d'espèces invasives vendues augmente, ou les animaux invasifs ont un meilleur succès commercial et sont donc plus souvent vendus.
Vente d’espèces invasives en ligne : les animaux vendus deviennent-ils invasifs ou sont-ils préférés des vendeurs ?

C’est une question difficile parce que de nombreux animaux sont vendus depuis des siècles. Nombre d’entre eux sont peut-être devenus invasif à cause du commerce d’animaux exotiques, mais ils ont aussi pu être accidentellement introduits via des bateaux et avions transportant d’autres marchandises. Malheureusement, il n’y a pas de données historiques pour tester cela.

Certains nouveaux animaux de compagnie ne sont cependant pas vendus depuis très longtemps. C’est le cas des fourmis. Un véritable engouement s’est dégagé pour l’élevage des fourmis depuis seulement une vingtaine d’années. Les sites de vente de fourmis ont commencé à fleurir sur internet, au début des années 2000. En France, ils ne proposaient d’abord qu’une poignée d’espèces de fourmis françaises, puis aussi des fourmis italiennes. Mais plus récemment ce sont des centaines d’espèces de fourmis exotiques de tous les continents qui sont vendues en ligne, souvent de manière illégale. Même des espèces dangereuses sont vendues, comme les fourmis bouledogues australiennes ou les fourmis balles de fusils d’Amérique du sud, ainsi que des espèces de fourmis très invasives.

Vidéo : Les fourmis bouledogues Australiennes sont très populaires parmi les fourmis de compagnie vendues en ligne peut-être en raison de leur grande taille, vives couleurs et douloureuse piqûre.

1,7% des quelques 15377 espèces de fourmis connues à ce jour sont invasives, il y a donc 255 espèces de fourmis invasives dans le monde. Ces espèces sont devenues invasives principalement à cause du commerce de plantes (les fourmis nichent dans les pots et voyagent avec les plantes), mais pas encore à cause du commerce de fourmis comme animaux de compagnie. La vente de fourmis de compagnie exotiques est trop récente pour avoir causé des invasions. Il semble donc que les vendeurs de fourmis préfèrent en effet vendre des espèces invasives.
Pour vérifier cela, les deux scientifiques de l’université de Lausanne ont alors parcouru des dizaines de sites internet de vente de fourmis en ligne et ont répertorié toutes les espèces vendues et déterminé si elles étaient invasives ou avaient des chances de le devenir. Résultat : 11% des espèces de fourmis vendues sont invasives, une proportion 7 fois plus grande que dans la nature ! Les scientifiques se sont aussi aperçus que les espèces de fourmis proposées à la vente sont des espèces qui peuvent vivre dans des habitats et des nids variés et ont une grande aire de répartition : des traits hautement invasifs.

Jérôme Gippet l’explique ainsi « Les espèces les plus présentes sur la planète, typiquement les espèces invasives donc, ont bien plus de chances d’être trouvées, prélevées, et vendues comme animal de compagnie. Mais il est possible qu’il y ait aussi une sorte d’« attraction fatale » pour ces espèces qui sont souvent impressionnantes et forment des colonies qui se développent très rapidement. »

Ces résultats inquiétants suggèrent que les animaux susceptibles de devenir invasifs sont plus souvent commercialisés. Une raison de plus s’il en fallait une pour renforcer les lois sur le commerce et l’élevage des animaux, en particulier pour les espèces exotiques.

Cet article est agrégé au café des sciences qui regroupe l’actualité scientifique.


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Notes et références

[1Gippet, J. M., & Bertelsmeier, C. (2021). Invasiveness is linked to greater commercial success in the global pet trade. Proceedings of the National Academy of Sciences, 118(14).



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