Les fourmis pièges à machoîres ont un record de la vitesse

Hymenoptera ; Formicidae ; Odontomachus hastatus

De nombreux insectes et autres arthropodes sont équipés de systèmes de fuite par le saut. Les sauterelles ont une paire de pattes extrêmement musclées adaptées au saut, les taupins créaient une contrainte entre le pronotum et l’abdomen qu’ils relâchent pour se propulser et les collemboles possèdent même une furcula, sorte d’appendice sauteur situé sous l’abdomen qui les fait bondir en un instant. Et cela sans parler des mouches qui sautent avant même de prendre leur envol ou des araignées sauteuses.

Une fourmi est en position de chasse, avec les mandibules écartées prêtes à se refermer sur une proie.
Ouvrière en chasse

Comment faire alors pour se nourrir de ces bestioles professionnelles de la fuite, mais qui sont aussi les proies les plus abondantes sous les tropiques ?

Les fourmis subtropicales du genre Odontomachus ont trouvé la solution : lorsqu’un insecte touche des soies très spécialisées situées sur leurs mandibules, cela provoque un réflex de fermeture des mandibules en moins d’un millième de seconde [1] !

Ces fourmis sont appelées par les anglophones "trap-jaw ants", littéralement "fourmis pièges à mâchoires", par analogie avec ce comportement. La rapidité de ce réflex est rendue possible par la taille des neurones présents dans leurs soies sensorielles : celles-ci ont des axones (les "bras" des neurones qui conduisent les informations) mesurant environs 20 micromètres de diamètre. Cela ne vous parle pas ? C’est bien plus large que la plupart des axones qui existent dans le monde animal. Et plus un axone est large, plus il conduit rapidement l’information.

Photographie qui montre les soies sensorielles situées sur les mandibules des Odontomachus hastatis.
Soies sensorielles

Les Odontomachus hastatus sont ainsi capables de capturer des proies rapides et variées, mesurant entre la moitié et le double de leur taille. Elles n’ont pas le droit à l’erreur : leurs colonies ne contiennent pas plus de 500 ouvrières et elles se nourrissent principalement d’araignées [2] !

Mais ce n’est pas tout, comme leurs proies, ces fourmis peuvent se propulser pour effectuer un saut... À l’aide de leurs mandibules ! La fermeture est si rapide qu’elles peuvent s’en servir pour se propulser en arrière et ainsi échapper à un prédateur [3].

Une fourmi est en train de chasser des proies avec les mandibules écartées
Une ouvrière Odontomachus
Fourmis pièges, elles possèdent des soies sur leurs mandibules qui provoquent un réflex de fermeture utra-rapide.
Trap-jaw ants
Photographie de deux fourmis ouvrières en train de fourrager, au laboratoire
Photos de l’espèce Odontomachus hastatus

Odontomachus hastatus est une fourmis arboricole qui vit dans des plantes tropicales appelées broméliacées [4] [5], comme de nombreuses autres espèces de fourmis tropicales qui plantent de véritables "jardins de fourmis" [6] [7] [8]. Les broméliacées sont des plantes épiphytes, ce qui signifie qu’elles poussent accrochées aux arbres. Beaucoup de plantes de cette famille ont des feuilles ou des tiges qui forment des cavités dans lesquelles nichent les fourmis. Les fourmis qui vivent dans ces plantes récupèrent les graines des broméliacées et les ajoutent à leurs nids construits autour des plantes. Quand les graines germent, les racines de ces plantes épiphytes renforcent encore la structure de la fourmilière.

Les colonies peuvent contenir une ou plusieurs reines, qui se livrent à une bataille sans merci à qui pourra pondre le plus d’oeufs. Les reines peuvent également dévorer les oeufs pondus par les autres reines [9].

Princesse fourmi ailée d'une espèce subtropicale spécialisée dans la capture rapide de proies.
Reine de fourmis machoîres

L’avantage pour plusieurs reines de vivre ensemble serait que lors de la fondation, elles peuvent élever rapidemment un plus grand nombre d’ouvrières ce qui augmente leurs chances de survie. Cela est d’autant plus vrai que chez cette espèce, les reines ont peu de réserves et doivent sortir chasser pour nourrir leurs premières larves [10].

Photo d'une reine de l'espèce de fourmis Odontomachus hastatus, vue de dessus.
Détail des ailes d’une reine de fourmi

Par ailleurs, dans ces zones très pluvieuses d’Amérique du Sud, les pluis torrentielles font souvent tomber au sol une partie du nid [11]. S’il y a plusieurs reines, il y a plus de chance que le reste de la colonie qui est resté accroché à l’arbre contienne une reine, et puisse ainsi continuer à survivre.


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Notes et références

[1Gronenberg, W., Tautz, J., & Holldobler, B. (1993). Fast trap jaws and giant neurons in the ant Odontomachus. Science, 262(5133), 561-563.

[2Camargo, R. X., & Oliveira, P. S. (2012). Natural history of the Neotropical arboreal ant, Odontomachus hastatus : Nest sites, foraging schedule, and diet. Journal of Insect Science, 12.

[3Patek, S. N., Baio, J. E., Fisher, B. L., & Suarez, A. V. (2006). Multifunctionality and mechanical origins : ballistic jaw propulsion in trap-jaw ants. Proceedings of the National Academy of Sciences, 103(34), 12787-12792.

[4Davidson D.W. and Epstein W.W. (1989). Epiphytic associations with ants. In : Vascular Plants as Epiphytes, Springer, Berlin, 200:233.

[5Gibernau M., Orivel J., Delabie J.H.C., Barabe D. and Dejean A. (2007). An asymmetrical relationship between an arboreal ponerine ant and a trash-basket epiphyte (Araceae). Biol. J. Linn. Soc. (91) 341:346.

[6Davidson D.W. and Epstein W.W. (1989). Epiphytic associations with ants. In : Vascular Plants as Epiphytes, Springer, Berlin, 200:233.

[7Bluthgen N., Verhaagh M., Goita W. and Bluthgen N. (2000). Ant nests in tank bromeliads : an example of non-specific interaction. Insect. Soc. (47) 313:316.

[8Dejean A., Olmsted I. and Snelling R.R. (1995). Tree-epiphyte-ant relationships in the low inundated forest of Sian Ka’an biosphere reserve, Quintana Roo, Mexico. Biotropica (27) 57:70.

[9Oliveira, P. S., Camargo, R. X., & Fourcassié, V. (2011). Nesting patterns, ecological correlates of polygyny and social organization in the neotropical arboreal ant Odontomachus hastatus (Formicidae, Ponerinae). Insectes sociaux, 58(2), 207-217.

[10Peeters C. (1993). Monogyny and polygyny in Ponerinae ants with or without queens. In : Queen Number and Sociality in Insects
(Keller L., Ed), Oxford University Press, Oxford, 234:261.

[11Camargo R.X. (2002). Ecologia e comportamento social da formiga arboricola Odontomachus hastatus (Hymenoptera : Formicidae:Ponerinae). Master’s Dissertation, Universidade Estadual deCampinas, Brasil.


Vos commentaires et questions:

  • Le 13 mai 2014 par cremato 2023 :

    ces fourmis sont super mais leur reine est bizzare !




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