Comment se développent les différentes castes chez les fourmis ?
Polyphénisme, plasticité phénotypique, interaction entre l’environnement et les gènes
Accueil / Les Fourmis / De l’essaimage des fourmis ailées au développement de la fourmilière
Chez les hyménoptères sociaux [1], ainsi que chez les termites et quelques autres crevettes sociales et rat-taupes nus, il existe une caste d’individus stériles souvent appelés "ouvrières" (ces individus sont tous des femelles chez les hyménoptères) ou "ouvriers" (pour les termites et rat-taupes, par exemple, il peut s’agir de mâles). La caste des ouvrières peut cependant comprendre des individus de tailles très variées, qui correspondant à des castes ou sous-castes. Les plus grands individus sont souvent désignés comme des soldats chez les termites et les fourmis. Ces différentes castes d’ouvrières sont souvent associées à une division du travail, par exemple chez les fourmis coupeuses de feuilles, les plus grandes ouvrières récoltent des végétaux tandis que les plus petites s’occuppent du nid.
Les individus capables de se reproduire, représentent eux aussi une caste distincte, composée des princesses aussi appelées gynes ou reines, et des mâles.
L’existence de ces différentes castes au sein des colonies est souvent désignée par le terme de polyphénisme.
Si l’origine évolutive des individus stériles et les avantages qu’ils représentent au sein d’une colonie sont maintenant relativement bien compris, la question des mécanismes qui permettent aux différentes castes de se développer au sein d’une fourmilière ou d’une ruche fait encore l’objet d’intenses recherches.
Les premiers scientifiques à s’être intéressés à la question ont mis en avant l’importance de la nourriture que reçoit une larve sur son développement : une larve d’abeille nourrie avec de la gelée royale se transforme ainsi en reine [2]. De même, la nourriture apportée à des larves d’ouvrières de l’espèce Pheidole pallidula détermine leur développement en petite ouvrière ou en ouvrière soldate [3]. Chez certaines espèces, les femelles et les mâles reproducteurs ne sont produits qu’à certaines périodes de l’année, ce qui montre que d’autres facteurs de l’environnement que la nourriture peuvent intervenir dans le développement des différentes castes [4] [5]. Les hormones jouent certainement le rôle de médiateur dans la différenciation des castes : des scientifiques ont réussit à induire le développement d’ouvrières "super-soldats" en fournissant une hormone particulière à des larves de fourmis [6].
Malgré tout, certains scientifiques se sont interrogés très tôt sur l’influence que la génétique pouvait avoir sur le développement des fourmis, en particulier après avoir observé des fourmis aux formes étranges qui auraient pu être produites par des erreurs génétiques [7].
Des études plus récentes ont depuis mis en avant le rôle des gènes dans la différenciation des castes de fourmis, et suggèrent que cela pourrait être beaucoup plus fréquent que ce à quoi l’on pouvait s’attendre. La différence entre castes peut donc être déterminée en partie par les gènes d’un individu qui intéragissent avec l’environnement (ce qui comprend l’alimentation) de la larve [8]
Dans certains cas extrême, des scientifiques ont démontré que les castes étaient déterminées uniquement de manière génétique [9] [10]. Dans un des exemples connus, plusieurs lignées de fourmis très distinctes existent au sein d’une même espèce, et seuls les individus issus de l’hybridation entre ces lignées peuvent se développer en ouvrières. De même, seuls les individus "purs" peuvent se développer en princesses ailées. Ceci est possible car chez cette espèce du genre Pogonomyrmex, les princesses s’accouplent avec différents mâles. Elles peuvent ainsi produire à la fois des ouvrières et des princesses, si elles s’accouplent à la fois avec des mâles de leur lignée et avec des mâles d’une autre lignée.
Certains parasites peuvent également modifier le développement des fourmis en différentes castes : certains nématodes provoquent ainsi l’apparition d’individus qui se situent morphologiquement entre les ouvrières et les soldates chez Pheidole pallidula [11].
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Notes et références
[1] Les hyménoptères sociaux comprennent les bourdons, guêpes sociales, fourmis, frelons et abeilles sociales.
[2] Michener, C. D. (1974). The social behavior of the bees : a comparative study. Harvard University Press, Vol. 73, No. 87379.
[3] Passera, L. (1974). Différenciation des soldats chez la Fourmi Pheidole pallidula Nyl.(Formicidae Myrmicinae). Insectes Sociaux, 21(1), 71-86.
[4] Elmes, G. W. (1987). Temporal Variation in Colony Populations of the Ant Myrmica sulcinodis : I. Changes in Queen Number, Worker Number and Spring Production. The Journal of Animal Ecology, 559-571.
[5] Elmes, G. W. (1987). Temporal variation in colony populations of the ant Myrmica sulcinodis : II. Sexual production and sex ratios. The Journal of Animal Ecology, 573-583.
[6] Rajakumar, R., San Mauro, D., Dijkstra, M. B., Huang, M. H., Wheeler, D. E., Hiou-Tim, F., ... & Abouheif, E. (2012). Ancestral developmental potential facilitates parallel evolution in ants. Science, 335(6064), 79-82.
[7] Wheeler, W. M. (1937). Mosaics and other anomalies among ants. Harvard University Press, Cambridge, 95pp. [PDF>http://www.antwiki.org/wiki/images/9/95/WheelerW1937.pdf].
[8] Hughes, W. O., & Boomsma, J. J. (2007). Genetic polymorphism in leaf-cutting ants is phenotypically plastic. Proceedings of the Royal Society B : Biological Sciences, 274(1618), 1625-1630.
[9] Keller, L. (2007). Uncovering the biodiversity of genetic and reproductive systems : time for a more open approach. The American Naturalist, 169(1), 1-8.
[10] Anderson, K. E., Linksvayer, T. A., & Smith, C. R. (2008). The causes and consequences of genetic caste determination in ants (Hymenoptera : Formicidae). Myrmecol News, 11, 119-132.
[11] Passera, L. (1976). Origine des intercastes dans les sociétés de Pheidole pallidula (Nyl.)(Hymenoptera, Formicidae) parasitées par Mermis sp. (Nematoda, Mermithidae). Insectes Sociaux, 23(4), 559-575.