Le Crache-Sang
Insecta ; Coleoptera ; Chrysomelidae ; Timarcha tenebricosa
Accueil / Petits animaux, insectes / Coléoptères : scarabées, coccinelles, capricornes, lucanes, charançons, staphylins,...
Voici un insecte plutôt original, un gros coléoptère noir appelé Crache-sang (ou Timarcha tenebricosa par les scientifiques) en raison de son comportement insolite.
En effet, en cas de danger, ce coléoptère possède un moyen de défense bien particulier : il émet par les pattes et le dessous de la tête un liquide rougeâtre qui ressemble à s’y méprendre à du sang. Ce phénomène est appelé auto-hémorragie ou saignement-reflex. Pour ajouter à l’horreur de la scène, il peut également régurgiter le contenu nauséabond de son estomac.
Le liquide rouge peut représenter jusqu’à 1,3% du poids total de l’insecte. Pour l’éjecter hors du corps lorsqu’il est attaqué, le crache-sang le fait passer via de fines membranes poreuses. D’abord, l’insecte fait gonfler les cavités de son corps qui contiennent le liquide rouge, ce qui dilate les membranes sous la pression et cause l’élargissement mécanique des pores, ce qui laisse passer le "sang" de l’insecte [1].
Ce liquide n’est pas du "sang" comme il y en a chez les humains. Les insectes n’ont d’ailleurs pas vraiment de sang et les liquides dans leurs corps ne sont généralement pas rouges. En effet, chez les animaux vertébrés comme les humains, le sang est rouge parce que les globules rouges contiennent de l’hémoglobine qui transporte l’oxygène. Mais chez les insectes, la respiration se fait via de minuscules trachéoles, sortes de tuyaux qui amènent l’air directement aux cellules, sans passer par des poumons ou par un système sanguin. Les insectes ont bien un système circulatoire, mais celui-ci est principalement chargé de transporter les nutriments. Ce liquide généralement blanc est appelé hémolymphe.
Chez le crache-sang, le liquide rouge n’a donc rien à voir avec du sang et est juste un liquide toxique que l’insecte utilise pour se défendre. Ce liquide serait même très toxique pour les humains et autres vertébrés [2]. Il vaut donc mieux éviter de jouer avec un crache-sang même si ce comportement de défense est très intéressant à observer. En cas d’exposition au liquide, il est important de ne pas se toucher les muqueuses (les yeux, le nez et la bouche en particulier) et il faut se laver les mains rapidement. Le liquide poison du crache-sang contient en effet de l’anthraquinone, un composé irritant et répulsif pour les oiseaux. C’est cette même anthraquinone qui est responsable de la couleur rouge du liquide émis par le crache-sang.
Fort de ce moyen de défense très efficace, le crache-sang a au court de l’évolution perdu la capacité de voler. les ailes et muscles qui permettaient il y a longtemps au crache-sang de voler sont très réduits, et leurs élytres (c’est comme cela que l’on appelle la première paire d’ailes solide chez les coléoptères) sont soudées entre elles [3]. Le timarque a donc un beau bouclier noir qui le protège, avec son poison rouge, des prédateurs, mais il est incapable de voler. La couleur noire du crache-sang contraste fortement avec le rouge de son poison ou le vert vif du gaillet, sa plante préférée, ce qui lui permet de se faire facilement remarquer de ses prédateurs. De cette manière, les prédateurs qui s’attaquent aux crache-sang associent facilement sa couleur au goût désagréable du liquide toxique qu’il émet (on parle d’aposématisme).
Les crache-sangs adultes éclosent aux mois de Juillet et Août. Ils s’alimentent pendant quelques jours avant de s’accoupler, puis les femelles pondent entre 30 et 150 oeufs [4] généralement sur les plantes dont ils se nourrissent comme le Gaillet, jusqu’à la fin du moi d’Octobre. Les adultes s’enterrent ensuite dans le sol où ils passent l’hiver avant d’être réveillés par les premières chaleurs début Mars. Les femelles se remettent alors à pondre jusqu’à leur mort au début de l’été.
Les mâles sont un peu plus petit que les femelles et possèdent des tarses (les coussinets que l’on observe sur les pattes) plus larges que les femelles.
Il existe en France deux espèces Timarcha tenebricosa, le "Grand Timarche" et Timarcha goettingensis ou "Petit Timarche", plus présent dans le Sud de la France.
En raison de sa forte régression en région île de France, et ce malgré la présence de plantes hôtes du genre Galium, le crache-sang est classé comme espèce déterminante de ZNIEFF dans la région parisienne [5].
Les crache-sangs ne sont pas les seuls insectes à utiliser ce moyen de défense, les coccinelles, méloés, d’autres coléoptères du genre Megalopus et Galeruca, ainsi que des orthoptères des genres Eugaster et Ephippiger peuvent émettre des substances similaires via leurs articulations [6].
Retrouvez cet article sur le site du café des sciences, qui regroupe des articles de vulgarisation scientifiques.
Articles liés
-
Que mange le gendarme (l’insecte) ?
Les punaises gendarmes (Pyrrhocoris apterus) sont des insectes rouges et noirs fréquents dans les jardins potagers. Que mangent-ils ? Sont-ils nuisibles ? Sont-ils dangereux ? Toutes les réponses sont ici, avec un petit aperçu de leur biologie.
-
Le réduve masqué : une punaise chasseuse bien camouflée
Qui se cache derrière le réduve masqué ? Que fait cette punaise dans votre maison, et comment vous en débarrasser sans qu’elle ne transforme votre doigt en passoire ?
-
E120 ou rouge carmin : vous mangez des cochenilles broyées
Le colorant E120, aussi appelé rouge carmin ou rouge cochenille, provient des cochenilles, des insectes proches des pucerons. Fixées aux Opuntias, des cactus péruviens, mexicains et des Îles Canaries, les cochenilles sont élevées, broyées et l’acide carminique rouge qui en est extrait est ajouté à nos charcuteries, sodas et yaourts.
Notes et références
[1] Jolivet, P., George, P., & Verma, K. K. (2014). Timarcha Latreille : A strange beetle and a living fossil. Terrestrial Arthropod Reviews, 7(1), 3-20.
[2] Jolivet, P., Petitpierre, E., & Hsiao, T. H. (Eds.). (1988). Biology of chrysomelidae (p. 615). Dordrecht, The Netherlands : Kluwer Academic Publishers.
[3] Jolivet, P. (1995). A status report on the species of Timarcha (Coleoptera : Chrysomelidae).
[4] Chevin, H. (1992). Contribution a la biologie des Timarcha (col. Chrysomelidae). L’entomologiste, 33, 133-141.
[5] Mériguet B., Tachet J.-L., Zagatti P. 2004. Plateau de Saclay (Essonne), Etude entomologique du périmètre d’acquisition. OPIE, 41p.
[6] McIndoo, N. E. (1916). The Reflex Bleeding of the Coccinellid Beetle, Epilachna Borealis. Annals of the Entomological Society of America, 9(2), 201-223.