
La fourmi d’Argentine envahit le Sud de l’Europe !
Hymenoptera ; Formicidae ; Linepithema humile (ex- Iridomyrmex humilis)
samedi 26 avril 2014 à 16:37 par
De l’Italie à l’Espagne en passant par les côtes Françaises du bord de la méditerranée, une immense super-colonie de fourmis s’est installée. Il s’agit de la fourmi d’Argentine, Linepithema humile, une espèce invasive venue d’Amérique du Sud.
La fourmi d’Argentine est peut-être la pire des espèces de fourmis invasives présentes en France : une unique colonie s’étend tout autour de la méditérrannée. Elle est aujourd’hui présente non seulement en Europe, mais aussi en Amérique, en Afrique, en Australie, en Nouvelle Zélande et au Japon [1] ! Elle pourrait encore envahir d’autres régions de l’Afrique et une partie de l’Asie, qui correspondent à son habitat [2]. En France, on la trouve presque dans tous les départements du Sud et en Corse où elle est omniprésente [3].
Vidéo sur la fourmi d’Argentine (Linepithema humile) réalisée en Corse. On voit les fourmis d’Argentine se déplacer le long des pistes de phéromones et récolter le miellat de pucerons :
C’est par la forte similarité de leurs hydrocarbures cuticulaires que les fourmis de cette espèce arrivent à former une unique et immense colonie [4]. Les hydrocarbures sont des molécules produites par les fourmis qui leur permettent de différencier les fourmis de la même colonie des fourmis des autres colonies. Si toutes les fourmis des différentes colonies produisent des hydrocarbures proches, alors les fourmis l’identifient comme faisant partie de la même colonie. Elles ne s’aggressent donc plus ! Dans leurs pays d’origine, les fourmis invasives ne forment généralement pas une unique colonie, ce comportement n’apparaitraît que lorsqu’elles sont introduites sur de nouveaux territoires [5].
De plus, contrairement aux autres espèces qui produisent des fourmis mâles et femelles ailés qui s’envolent pour s’accouppler, les séxués de la fourmi d’Argentine s’accoupplent dans le nid. Il n’y a donc plus de risque pour eux de se faire manger par les oiseaux et lézards [6] !
La fourmi d’Argentine, Linepithema humile de son nom scientifique (anciennement Iridomyrmex humilis), a été importée accidentellement en Europe via des marchandises, elle s’est installée dans tout le pourtour méditerrannéen. Le climat y est suffisament doux pour lui permettre d’y survivre durant l’hiver. Les fourmis d’Argentine présentes en Europe proviendraient de la ville de Rosario, mais il est en réalité possible que cette espèce ait été introduite de multiple fois [7].
L’origine de l’espèce est une information importante car elle permet d’envisager le contrôle de l’invasion par un parasite. En effet, comme de nombreuses fourmis, les fourmis d’Argentine sont parasitées dans leurs pays d’origine par des mouches de la famille des Phoridae (voir l’article sur les mouches parasites de fourmis). Les chercheurs pensent d’ailleurs que le succès de la fourmi d’Argentine est du en Europe à l’absence des mouches tueuses spécifiques de la fourmi d’Argentine. [8] [9] [10]
En effet, les Phoridae sont des agents de contrôle de fourmis invasives très connus [11]. Aux Etats-Unis, une fourmi du nom de "fourmi de feu" ou Solenopsis invicta, ainsi appelée en raison de la douleur provoquée par sa piqûre, fait l’objet d’un contrôle biologique par ces petites mouches [12] [13] [14] [15] [16]. Les risques liés à l’introduction de la mouche spécifique de ces fourmis serait faible, puisque chacune des espèces de mouches parasites ne s’attaque qu’à une seule espèce de fourmis [17] [18] [19]. De plus, les scientifiques ont déjà montré que ces mouches pouvaient modifier les communautés de fourmis [20], elles pourraient donc permettre aux fourmis locales de survivre au milieu des fourmis d’Argentine.
Par leur nombre et leur unicolonialité, les fourmis d’Argentine excluent toute autre espèce de fourmis du territoire qu’elles occuppent. Les scientifiques ont également montré que ces fourmis invasives menacent d’autres animaux (invertébrés [21] ou même vértébrés [22] !) et végétaux [23] [24]. Aux Etats-Unis, les invasions de fourmis d’Argentine ont causé la disparition ou la raréfaction de nombreux animaux et végétaux [25] [26].
De nombreuses plantes et animaux ont évolué en relation avec certaines espèces de fourmis. Par exemple, certains papillons vivent dans des fourmilières de fourmis rouges du genre Myrmica et de nombreuses plantes ont besoin des fourmis pour disperser leurs graines. Il est certain que si la fourmi d’Argentine remplacent ces espèces françaises, alors les animaux et végétaux qui y sont associés disparaîtront. Les espèces invasives, qu’il s’agisse de fourmis ou non, sont une des principales causes de la perte de biodiversité et des extinctions d’espèces.
Mais la fourmi d’Argentine ne se contente pas de menacer la biodiversité. Elle représente également un danger pour l’agriculture par son activité d’élevage intensif de pucerons [27], puisque les fourmis défendent les pucerons contre de nombreux parasites et prédateurs (comme les coccinelles et certaines guêpes) [28]. La fourmi d’argentine s’installe aussi dans les immeubles et maisons [29], dans chaque recoin de plafond et dans chaque fissure, ou même dans les boitiers éléctriques. Des scientifiques ont prouvé que les insecticides étaient en réalité peu efficaces et qu’ils avaient beaucoup moins d’importance que les changements de temps : lorsqu’il fait sec ou qu’il pleut, ces fourmis se réfugient dans les maisons pour quelques jours. Il faut alors attendre que les conditions s’améliorent pour qu’elles quittent d’elles-mêmes les maisons [30]. En zone infestée, il est difficile de jardiner en raison de l’aggressivité de ces fourmis, il faut également éviter de laisser des animaux dans des cages accessibles aux fourmis. Une étude menée en Nouvelle-Zélande montre que pour une seule des douze régions de ce pays, les dégâts causés par la fourmi d’Argentine s’élèveraient chaque année à près de 2 millions d’euros [31] !
Il est malheureusement difficile de distinguer la fourmi d’argentine des autres fourmis [32] [33]. Les fourmis des genres Tapinoma et Lasius lui ressemblent fortement... Et il vaut mieux éviter de faire erreur : en supprimant les espèces locales, ce seraient les fourmis d’Argentine qui seraient avantagées car elles colonisent plus rapidemment les espaces laissés vides.
Un des principaux enjeux des années à venir sera le contrôle des invasions biologiques, qui pourraient en particulier passer par l’interdiction du commerce international de fourmis.
Références et définitions
[1] Wetterer, J. K., Wild, A. L., Suarez, A. V., Roura-Pascual, N., & Espadaler, X. (2009). Worldwide spread of the Argentine ant, Linepithema humile (Hymenoptera : Formicidae). Myrmecological News, 12, 187-194.
[2] Roura-Pascual, N., Suarez, A. V., Gómez, C., Pons, P., Touyama, Y., Wild, A. L., & Peterson, A. T. (2004). Geographical potential of Argentine ants (Linepithema humile Mayr) in the face of global climate change. Proceedings of the Royal Society of London. Series B : Biological Sciences, 271(1557), 2527-2535.
[4] Moffett, M. W. (2012). Supercolonies of billions in an invasive ant : What is a society ?. Behavioral Ecology, 23(5), 925-933.
[5] Tsutsui, N. D., & Suarez, A. V. (2003). The colony structure and population biology of invasive ants. Conservation biology, 17(1), 48-58.
[6] Passera, L. & L. Keller. (1992). The period of sexual maturation and the age at mating in Iridomyrmex humilis, an ant with intranidal mating. J. Zool. Lond., 228:141–153.
[7] Tsutsui, N. D., Suarez, A. V., Holway, D. A., & Case, T. J. (2001). Relationships among native and introduced populations of the Argentine ant (Linepithema humile) and the source of introduced populations. Molecular Ecology, 10(9), 2151-2161.
[8] Orr MR., Seike SH. (1998). Parasitoids deter foraging by Argentine ants (Linepithema humile) in their native habitat in Brazil. Oecologia,117, 420–425.
[9] Orr, M. R., Dahlsten, D. L., & Benson, W. W. (2003). Ecological interactions among ants in the genus Linepithema, their phorid parasitoids, and ant competitors. Ecological Entomology, 28(2), 203-210.
[10] Orr, M. R., Seike, S. H., Benson, W. W., & Dahlsten, D. L. (2001). Host specificity of Pseudacteon (Diptera : Phoridae) parasitoids that attack Linepithema (Hymenoptera : Formicidae) in South America. Environmental entomology, 30(4), 742-747.
[11] Feener DH. & Brown BV. (1997). Diptera as parasitoids. Annual Review of Entomology, 42, 73–97.
[12] Orr MR, Seike SH, Benson WW, Gilbert LE (1995) Flies suppress ï¬ re ants. Nature, 373, 292–293.
[13] Porter, S. D., & Gilbert, L. E. (2004). Assessing host specificity and field release potential of fire ant decapitating flies (Phoridae : Pseudacteon). Assessing host ranges for parasitoids and predators used for classical biological control : a guide to best practice. Forestry Health Technology Enterprise Team (FHTET) publication, 3, 152-176.
[14] Porter, S. D., & Alonso, L. E. (1999). Host specificity of fire ant decapitating flies (Diptera : Phoridae) in laboratory oviposition tests. Journal of economic entomology, 92(1), 110-114.
[15] Porter, S. D. (1998). Biology and behavior of Pseudacteon decapitating flies (Diptera : Phoridae) that parasitize Solenopsis fire ants (Hymenoptera : Formicidae). Florida Entomologist, 292-309.
[16] Porter, S. D. (1998). Host-specific attraction of Pseudacteon flies (Diptera : Phoridae) to fire ant colonies in Brazil. Florida Entomologist, 423-429.
[17] Disney RHL (1994) Scuttle Flies : the Phoridae. Chapman & Hall, New York, USA.
[18] Gilbert LE, Morrison LW (1997) Patterns of host speciï¬ city in Pseudacteon parasitoid flies (Diptera : Phoridae) that attack Solenopsis ï¬ re ants (Hymenoptera : Formicidae). Environmental Entomology, 26, 1149–1154.
[19] Porter, S. D. (2000). Host Specificity and Risk Assessment of Releasing the Decapitating Fly Pseudacteon curvatus as a Classical Biocontrol Agent for Imported Fire Ants. Biological Control, 19(1), 35-47.
[20] Feener DH (2000) Is the assembly of ant communities mediated by parasitoids ? Oikos, 90, 79–88.
[21] Cole, F. R., A. C. Medeiros, L. L. Loope, & W. W. Zuehlke. (1992). Effects of the Argentine ant on arthropod fauna of Hawaiian high-elevation shrubland. Ecology 73 : 1322.
[22] Suarez, A. V., and T. J. Case. 2002. Bottom-up effects on persistence of a specialist predator : ant invasions and horned lizards. Ecol. Appl. 12:298.
[23] Christian, C. E. (2001). Consequences of a biological invasion reveal the importance of mutualism for plant communities. Nature, 413(6856), 635-639.
[24] Gómez, C., Pons, P., & Bas, J. M. (2003). Effects of the Argentine ant Linepithema humile on seed dispersal and seedling emergence of Rhamnus alaternus. Ecography, 26(4), 532-538.
[25] Erickson, J. M. (1971). The displacement of native ant species by the introduced Argentine ant Irido-myrmex humilis Mayr. Psyche, 78:257–266.
[26] Human, K. G. & D. M. GORDON. (1997). Effects of Argentine ants on invertebrate biodiversity in northern California. Cons. Biol., 11:1242–1248.
[27] MARKIN, G. P. 1970a. Foraging behavior of the Argentine ant in a California citrus grove. J. Econ. Entom., 63:740–744.
[28] Prins, A. J., H. G. Robertson & A. Prins. (1990) .Pest ants in urban and agricultural areas of southern Africa, pp. 25–33. In R. K. Vander Meer, K. Jaffe, and A. Cedeno [Eds.], Applied Myrmecology, a World Perspective. Westview, Boulder, Colorado.
[30] Gordon, D. M., Moses, L., Falkovitz-Halpern, M., & Wong, E. H. (2001). Effect of weather on infestation of buildings by the invasive Argentine ant, Linepithema humile (Hymenoptera : Formicidae). The American Midland Naturalist, 146(2), 321-328.
[31] Ward, D. F. (2009). Potential social, economic and biodiversity impacts of the Argentine ant, Linepithema humile, in the Hawke’s Bay region. Landcare Research Contract Report : LC0809/087. Hawke’s Bay Regional Council Envirolink Project : 700HBRC93.
Mots-clés
Forum
- La fourmi d’Argentine envahit le Sud de l’Europe !24 avril 2021, par AGOSTINI
Quels moyens peut-on utiliser pour endiguer ,au moins partiellement, cette invasion ?
- La fourmi d’Argentine envahit le Sud de l’Europe !27 avril 2021,par Théo
Difficile à faire maintenant. Il aurait fallu un meilleur contrôle des importations. Chez les fourmis, il y a des insectes parasites qui peuvent cependant limiter l’expansion : les mouches phorides par exemple. Et peut-être que limiter les pucerons et les déchets contenant de la nourriture pourrait encore freiner l’expansion.
Cette fourmi est maintenant même à Nantes. myrmecofourmis.fr/Les-fourmis-d-Argentine-envahissent-Nantes