Ces chenilles australiennes survivent grâce aux fourmis
Mutualisme entre fourmis et papillons ; Jalmenus evagoras & Iridomyrmex
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Les chenilles sont des proies faciles pour de très nombreux prédateurs et parasites. Pour se protéger la plupart des espèces se camouflent, produisent des composés toxiques, certaines peuvent même gonfler un organe répulsif, ou possèdent de longs poils qui empêchent les prédateurs et parasites de s’approcher. D’autres ont évoluées pour attirer les fourmis et les convaincre de les protéger. En France, les azurés par exemple sont des papillons parasites de fourmis qui rentrent dans les fourmilières et mangent les larves des fourmis. En Australie, les chenilles de papillons apparentés ont établi un partenariat plus équitable avec les fourmis, fournissant un liquide sucré en échange de leur protection. Voici comment ce mutualisme fourmis-papillons fonctionne entre le papillon porte-queue impérial Jalmenus evagoras (appelé, en anglais, imperial hairstreakou common imperial blue) et les fourmis à viande du genre Iridomyrmex.
Où vit le porte-queue impérial ? Comment reconnaître ce papillon ?
Le porte queue impérial est aussi appelé papillon bleu impérial en raison de la couleur bleutée du dessus de ses ailes. Il est d’apparence similaire à l’azuré du serpolet, Phengaris arion, présents en France, car il appartient à la famille des Riodinidae, très proche de la famille des lycènes (Lycaenidae) dont font partie les azurés [1]. Lorsqu’on observe le papillon avec les ailes déployées et de dessus, on remarque des ailes bleues ornées de bordures noires épaisses et de points noirs à l’avant de chaque aile. Les ailes arrière arborent deux taches oranges et une queue noire et blanche flexible qui ondule au gré du vent. Lorsque ses ailes sont fermées, la face inférieure est jaune-beige, agrémentée de taches orange à l’arrière, de fines bordures, de lignes et de points noirs.
Le papillon porte-queue impérial réside sur la côte Est de l’Australie, du Nord de Brisbane jusqu’à Melbourne [2]. Son habitat coïncide avec la présence d’acacias, dont les chenilles de ce papillon dépendent. Les porte-queues impériaux sont actifs d’octobre à avril, correspondant à l’été australien. Les mâles, territoriaux, sont facilement observables, attendant les femelles perchés sur les feuilles d’acacias.
Pourquoi le papillon porte-queue impérial a-t-il besoin des fourmis ?
En Australie, il existe tellement d’autres insectes parasites ou prédateurs des chenilles du papillon porte-queue impérial Jalmenus evagoras que celles-ci ne survivraient pas jusqu’à l’âge adulte sans la protection des fourmis Iridomyrmex. Leurs prédateurs sont assez ironiquement d’autres espèces de fourmis, ainsi que des guêpes qui chassent des insectes sur les plantes pour nourrir leurs larves. Des scientifiques qui voulaient comprendre comment les fourmis défendent les chenilles ont empêché l’accès à quelques plantes aux fourmis. Lorsque les fourmis ne sont pas là pour protéger les chenilles, presque aucune chenille ne survit [3]. En l’absence de fourmis, presque toutes les chenilles se font tuer par des araignées, punaises prédatrices, fourmis bouledogues et guêpes à papier. Les femelles papillons déposent leurs œufs sur des plantes où les fourmis sont déjà présentes [4], même si les fourmis Iridomyrmex ne protègent que les chenilles, pas les œufs. Les œufs sont aussi souvent parasités par de petites guêpes parasitoïdes qui pondent leurs propres œufs à l’intérieur des œufs du papillon (comme les guêpes Trichogramma sp).
Comment les chenilles font-elles pour attirer les fourmis ?
Les papillons femelles préfèrent pondre leurs œufs sur des acacias déjà fréquentés par des fourmis, souvent en raison de la présence de pucerons ou de cochenilles dont les fourmis s’occupent. De plus, elles optent généralement pour des plantes de petite taille, probablement parce qu’il est plus facile pour elles de repérer les fourmis sur ces plantes [5]. Les papillons femelles facilitent donc déjà un peu la tâche à leur descendance quand il s’agit d’attirer des fourmis.
Les chenilles du porte-queue impérial produisent une substance sucrée grâce à des glandes situées sur leur dos une fois écloses. Ensemble, elles peuvent produire jusqu’à 400 g de liquide sucré par jour sur une seule plante, même si cela affecte légèrement leur poids, les chenilles étant généralement plus légères lorsqu’elles nourrissent les fourmis qui les protègent. Cependant, elles se développent plus rapidement en présence de fourmis, et malgré ces différences, les papillons adultes atteignent finalement la même taille, qu’ils aient été gardés ou non par les fourmis à l’état de chenille.
Les chenilles plus âgées attirent davantage de fourmis, et elles ont tendance à se regrouper pour attirer plus d’attention. Il n’est pas rare de les voir côte à côte ou entourées de plusieurs chrysalides également sous la protection des fourmis. Parfois, les groupes de chenilles sont si importants qu’ils attirent de nombreux prédateurs, ce qui peut représenter un défi pour les fourmis Iridomyrmex, qui doivent alors se battre, parfois même contre d’autres fourmis, pour protéger les chenilles [6].
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Notes et références
[1] L’appartenance de différentes espèces de papillons à ces deux familles est souvent débattue, voir Pech, P., Fric, Z., Konvička, M., & Zrzavý, J. (2004). Phylogeny of Maculinea blues (Lepidoptera : Lycaenidae) based on morphological and ecological characters : evolution of parasitic myrmecophily. Cladistics, 20(4), 362-375.
[2] Données iNaturalist, Octobre 2023.
[3] Pierce, N. E., Kitching, R. L., Buckley, R. C., Taylor, M. F. J., & Benbow, K. F. (1987). The costs and benefits of cooperation between the Australian lycaenid butterfly, Jalmenus evagoras, and its attendant ants. Behavioral Ecology and Sociobiology, 21, 237-248.
[4] Pierce, N. E., & Elgar, M. A. (1985). The influence of ants on host plant selection by Jalmenus evagoras, a myrmecophilous lycaenid butterfly. Behavioral Ecology and Sociobiology, 16, 209-222.
[5] Smiley, J. T., Atsatt, P. R., & Pierce, N. E. (1988). Local distribution of the lycaenid butterfly, Jalmenus evagoras, in response to host ants and plants. Oecologia, 76, 416-422.
[6] Voir Pierce & Elgar 1985.