Les fourmis presque légionnaires d’Australie

Formicidae, Dorylinae, Lioponera

Les fourmis légionnaires sont bien connues : sur plusieurs continents elles forment des colonies gigantesques, qui atteignent pour certaines espèces jusqu’à 10 millions d’individus. C’est le cas notamment en Afrique et en Amérique du Sud [1]. Régulièrement, ces fourmis quittent le nid par dizaines de milliers, formant une gigantesque colonne de fourmis. À l’avant de cette colonne, des fourmis éclaireuses cherchent des proies potentielles. Lorsqu’elles trouvent une proie, elles reviennent vers la colonne pour recruter plus de fourmis, ce qui leur permet de s’attaquer à des proies plus grosses comme des oiseaux ou des reptiles. Il existe de nombreuses espèces de fourmis légionnaires, toutes faisant partout d’une sous-famille de fourmis appelées Dorylinae.

Ce qui est moins connu, c’est qu’il existe dans la même famille des Dorylinae d’autres espèces de fourmis ne formant que de toutes petites colonies, de seulement quelques dizaines ou quelques centaines d’individus au maximum. Ces fourmis chassent en groupe, et ne forment pas de véritables colonnes. Chez ces fourmis, les éclaireuses partent à la recherche d’une proie non pas depuis une gigantesque colonne, mais directement depuis le nid. Elles ne s’attaquent pas à tous les animaux qu’elles croisent, mais leurs raids ciblent uniquement quelques espèces. La petite taille de leurs colonies et cette méthode de recherche de nourriture en groupe et sans colonne leur a même valu d’être appelée fourmis non-légionnaires [2]. Ici pour éviter de rendre ces fourmis jalouses, et pour des raisons phylogénétiques que je détaille plus bas, nous les appellerons fourmis "presque légionnaires". Après tout, elles chassent aussi en groupe.

On trouve notamment ces fourmis presque légionnaires en Australie [3]. Elles ne s’attaquent pas à tout type de proies comme les vraies fourmis légionnaires, mais seulement à d’autres fourmis [4]. Les Lioponera par exemple (voir les vidéos ci-dessous) ont un faible pour les larves de fourmis iridescentes Australiennes (Rhytidoponera) et les Pheidoles.

Sur cette photo macro on voit une fourmi rouge et noire du genre Lioponera, très lisse et brillante, s'occuper d'oeufs à l'intérieur de la fourmilière.
Lioponera sp, fourmi presque légionnaire d’Australie

Les éclaireuses des fourmis presque légionnaires partent directement depuis leur nid. Elles partent à la recherche d’autres nids de fourmis. Lorsqu’une éclaireuse en trouve un, elles revient directement au nid, et essaie de motiver les autres fourmis de sa colonie à la suivre et à former un raid. Lorsque l’éclaireuse a motivé un petit groupe de fourmis, elle utilise une piste de phéromone pour guider les fourmis du groupe vers l’entrée du nid de leurs proies. Arrivée dans le nid de leurs proies, elles tuent ou paralysent les autres fourmis très rapidement. Des scientifiques ayant réussit à observer ces raids en laboratoire ont remarqué que les fourmis presque légionnaires parvenaient à tuer ou paralyser presque toutes les autres fourmis sans subir la moindre perte de leur côté [5]. Les ouvrières des fourmis presque légionnaires piquent ensuite les larves pour les paralyser et font plusieurs aller et retour entre les deux nids pour ramener le plus de larves possible à leur nid. Le venin qu’elles injectent aux larves les paralysent, bloquant le développement de ces larves dérobées, ce qui leur permet de les stocker jusqu’à deux mois sans qu’elles ne pourrissent [6] !

Peu d’images de ces fourmis existent tant elles sont difficiles à observer. Voici une vidéo de fourmis presque-légionnaires Lioponera d’Australie s’occupant de leurs oeufs (sur la chaîne de Myrmecofourmis.fr), vous pouvez voir à quel point ces fourmis sont agiles et rapides :

Très peu d’études ont été faites sur ces fourmis. Elles sont difficiles à trouver et à garder en vie dans un laboratoire, étant donné qu’elles se nourrissent seulement des larves d’autres fourmis. Les observer dans la nature est aussi difficile car il semble que certaines espèces chassent au moment le plus chaud de la journée, tandis que d’autres privilégient le crépuscule [7]. Peut-être pour cette raison, une seule vidéo montrant ces fourmis transportant des larves après un raid est disponible en ligne. Sur cette vidéo (qui n’est pas de Myrmecofourmis.fr), vous pouvez voir un petit groupe de quelques dizaines de fourmis progresser lentement sur la litière de la forêt, puis revenir au nid chargées des larves de leurs proies :

Certains scientifiques sont récemment parvenus à garder et à étudier en captivité plusieurs colonies de ces fourmis. En étudiant leur phylogénie et leur comportement, ils sont parvenus à montrer que les fourmis presque légionnaires sont probablement proche de la "forme ancestrale" des autres fourmis légionnaires. Au cours de l’évolution, ces fourmis ont effectué des raids de plus en plus important et de moins en moins spécialisés, augmentant aussi la taille de leur colonie et formant d’immenses colonnes [8]. Alors, après tout, peut-être que le terme de fourmis presque légionnaires et plus approprié que celui de fourmis non-légionnaires ?

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Notes et références

[1B. Hölldobler, E. O. Wilson, The Ants. Belknap Press, 1990.

[2Borowiec, M. L. (2016). Generic revision of the ant subfamily Dorylinae (Hymenoptera, Formicidae). ZooKeys, (608), 1.

[3Wheeler, W. M. (1918, January). The Australian ants of the ponerine tribe Cerapachyini. In Proceedings of the American Academy of Arts and Sciences (Vol. 53, No. 3, pp. 215-265). American Academy of Arts & Sciences.

[4Borowiec, M. L. (2016). Generic revision of the ant subfamily Dorylinae (Hymenoptera, Formicidae). ZooKeys, (608), 1.

[5Holldobler, B. (1982). Communication, raiding behavior, and prey storage in Cerapachys (Hymenoptera : Formicidae). Psyche, 89(1-2), 3-23.

[6Holldobler, B. (1982). Communication, raiding behavior, and prey storage in Cerapachys (Hymenoptera : Formicidae). Psyche, 89(1-2), 3-23.

[7Clark, J. (1923). Australian Formicidae. JR Soc. W. Australia, 9, 72-89.

[8Chandra, V., Gal, A., & Kronauer, D. J. (2021). Colony expansions underlie the evolution of army ant mass raiding. Proceedings of the National Academy of Sciences, 118(22).



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